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dame Germain au sujet de la jeune fille. Il vit dans la tendre et prévoyante insistance de sa mère une sorte d’hostilité systématique contre Henriette, et il se jura d’être d’autant plus attaché à la jeune fille qu’on voulait l’en éloigner.

Il y avait là-dedans toute la naïveté de la jeunesse, qui est un peu égoïste, ou plutôt un peu avantageuse en amour, et qui croit aussi largement au bonheur qu’elle donne qu’à celui qu’elle reçoit.

Quant à madame Germain, elle se demandait ce qui allait advenir, et elle regrettait d’être seule à mener son fils ; elle aurait désiré la main vigoureuse d’un homme pour retenir Émile malgré lui.

Henriette, après avoir quitté Émile, demeura exaltée pour toute la journée. Le soir, elle se montra animée, brillante chanta, causa avec une chaleur, une expansion de toutes ses facultés qui entraînèrent tout l’entourage dans une véritable sarabande d’idées joyeuses, actives et rapides.

Aristide, stupéfait, n’eut pas la présence d’esprit de se livrer à ses plaisanteries ordinaires et extraordinaires. Madame Gérard, débordée dans sa faconde, se vit contrainte à suivre en satellite la conversation de sa fille, qu’habituellement elle interrompait, et dominait en s’emparant de ses idées. Le curé se réjouit de n’être pas retourné à Villevieille avant dîner. Le père resta éveillé. Le président eut la joie de donner quelques répliques à Henriette. Enfin Corbie ne dit rien de toute la soirée, parce qu’il éprouva une des impressions les plus profondes qu’il eût ressenties de sa vie, impression qui le raffermit encore dans le dessein d’un entretien qu’il voulait avoir avec sa nièce.