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autant d’autorité et d’éloquence. Il ne se serait point adressé à la foule avec plus de grandeur.

« Il est bon, dit-il, d’apprendre le mouvement économique, pour savoir se conduire. Depuis que je raisonne sur les principes sociaux, j’y vois clair et je n’agis pas au hasard. Il y a une logique dans les faits, il faut régler son pas sur cette logique. Si l’on est producteur, si l’on peut le devenir, tout ce qu’on fait doit être dirigé en vue des consommateurs. Je le prends de haut, et peut-être de loin, mais tu comprendras beaucoup mieux ton rôle dans la solidarité humaine. Il faut produire, pour mettre à la disposition des consommateurs une plus grande quantité de richesses ; l’honneur y est engagé. Si tout le monde s’en rendait compte, les problèmes sociaux seraient bien vite résolus. »

En effet, songeait Henriette, cela part de haut et de loin ! Il va y avoir quelque conclusion baroque !

« On est, dit Pierre, une unité plus ou moins importante dans le nombre de l’humanité. Les uns comptent comme un, les autres comme dix, comme cent, en proportion de leurs services. On soulèverait la terre, comme le fameux Archimède, avec ces idées-là. »

Madame Gérard se demandait « Que peut-il lui dire ? »

« Crois-moi, reprit-il, toute la vie est là ; c’est une nécessité de raison pure, c’est la prévoyance de l’avenir… »

Henriette se rappelait vaguement que ces phrases avaient déjà figuré sur l’estrade du comice agricole.

« C’est jeter une base, ajouta Pierre. Est-ce qu’on met ensemble un bœuf étique et une vache maigre ? La richesse est un terreau fertile, où l’homme puise des sucs nourrissants. Les plantes qui viennent dans la bonne terre sont plus belles, plus vivaces. Tes enfants élevés dans la richesse seront de même…

— Mais si je n’ai pas d’enfants ? dit Henriette, pensant à la vieillesse de Mathéus.

— Si tu n’en as pas !… s’écria Pierre, stupéfait de cette observation. Si tu n’en as pas…. » répéta-t-il, désarçonné, ne trouvant pas de réponse.

Il se fâcha.