Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/313

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui dit plus rien. Madame Gérard l’accueillit avec son revêtement de douleur, ce même air particulier de sévérité dolente qui inspirait des remords à la jeune fille.

« Assieds-toi, ma fille, dit-elle, et causons sans nous irriter, bien que des entretiens comme ceux-ci me soient très pénibles. Je te parle pour la dernière fois, cela me tue de disputer continuellement. »

Elle s’arrêta, parut respirer difficilement et regarda sa fille, puis ferma les yeux et les rouvrit lentement.

« Toutes ces secousses, reprit-elle, me rendent malade. Si mes contrariétés continuent, je n’y tiendrai pas, je le sens. »

« C’est peut-être la vérité, » se disait Henriette, vaincue par ces plaintes bien mieux que par des cris de fureur.

Madame Gérard se reposa encore fatiguée, et elle passa son mouchoir sur ses lèvres ; ensuite elle ajouta : « Il dépend de toi de faire cesser cette souffrance et cette gêne morales qui se sont abattues sur ta famille ! »

Il y eut une autre pause ; madame Gérard attendait-elle quelque bon résultat d’une infiltration lente dans l’esprit de sa fille ?

« Je t’ai nourrie et élevée, dit-elle ; je me suis assez dévouée, assez fatiguée pour toi quand tu étais enfant. Maintenant, également, je me suis donné une grande peine pour te sauver. Il est temps de savoir si tu en as quelque reconnaissance et si tu veux me la témoigner. »

Henriette pensait toujours : « Elle a raison ! » et se débattait en y opposant : « Elle n’a fait que ce qu’elle devait. »

Madame Gérard continua : « Mais on est malheureux toujours par ceux qui devraient vous rendre heureux, les enfants ! Du reste je suis si habituée aux épreuves, ce n’en est qu’une de plus. Mais ce ne sont pourtant pas celles-là que je méritais.

« Et moi, se dit Henriette, ne souffré-je pas aussi ? »

« Je serais bien heureuse, reprit madame Gérard, qu’au moins une fois dans ta vie tu eusses quelque déférence pour nous.

— Oh ! une fois dans ma vie ! répondit Henriette, froissée de l’exagération.