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En se réveillant chaque matin, il éprouvait une terreur singulière, maladive, sans cause directe.

Il avait pourtant repris un peu de forces et de chair, mais il gardait sous les yeux deux sillons bleuâtres, « deux chemins de larmes, » et sa bouche restait contractée.

Madame Germain consultait cette figure dévastée avec inquiétude, et devenait à son tour presque aussi malade que son fils, car elle n’osait plus lui parler des Tournelles, le voyant plein d’impatience et toujours disposé à repousser brusquement les plaintes et les questions.

Cependant Émile aurait voulu se jeter une heure au cou de sa mère et lui crier : « Je suis malheureux ! je suis malheureux ! » Mais il avait peur de parler de ses chagrins, comme si, en les disant tout haut, il eût pensé qu’ils redoubleraient.

Une nuit, madame Germain rêva que son fils se noyait, qu’elle lui tendait la main pour le secourir, et que lui refusait de saisir cette main. Elle ne raconta pas son rêve.

Leurs petits dîners à deux étaient affligeants : Émile mangeait à peine, demeurant les yeux fixes, sifflant ou chantonnant des lambeaux d’airs mélancoliques, et laissant échapper trois ou quatre paroles en toute une soirée.

Une pensée le maîtrisait tout entier : « Je ne suis bon à rien ! »

Elle épuisait son cerveau, en le frappant sans relâche comme un marteau.

« Il faut tout abandonner, » se disait-il ; puis un cri désespéré succédait : « Je ne veux pas perdre Henriette ! »

L’amour surmonta une fois faiblesse et découragement. Émile se décida à retourner aux Tournelles, malgré les présages contraires. Ces présages furent qu’en s’habillant et en mettant ses souliers, il cassa les lacets. Ensuite, en déjeunant, il laissa tomber une assiette qui se brisa. Dans ces deux petites insignifiances Émile retrouva la persécution du sort. Il accompagna d’un ricanement faible cet autre cri de désolation :

« Il en sera ainsi de tout ce que je ferai ! »

Émile partit néanmoins ; il arriva aux Tournelles, sonna,