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chaient d’ailleurs quelques-unes de leurs parcelles à sa conscience.

Elle ne reçut pas mal Mathéus, le plaisanta sur son affection et le rendit ainsi très heureux. Il rappela la promesse de venir à la Charmeraye. Mais Henriette ne pouvait se contraindre entièrement à être agréable pour ce vieux fantôme, qui lui causait tant de soucis.

« Cette Charmeraye, dit-elle, m’empêche de dormir et me menace comme un donjon.

— Oh ! toujours !… toujours ! s’écria Mathéus suppliant, levant ses mains en l’air.

— Eh bien, soit ; la Charmeraye a peut-être de bonnes qualités, reprit-elle meilleure.

— Et le propriétaire ?

— Je n’en sais rien. »

Elle se mit à rire.

« Vous allez continuer à m’écraser ? dit-il en riant aussi.

— À force de vous voir, je m’y habituerai peut-être, » reprit Henriette sur le même ton.

Cette gaieté, rare comme un ciel bleu en décembre, était un baume pour le vieillard.

Madame Gérard, étendue dans un fauteuil, inspirait les sensations de la glace par son apparence morne. Elle se demandait si la gaieté d’Henriette n’était pas une insulte à sa feinte tristesse.

D’autant plus que depuis longtemps l’intérieur était sombre aux Tournelles. Père, mère, enfants, sentaient que les liens se desserraient chaque jour. Les regards étaient gênés, secs, indifférents ou ennemis.

Aussi avait-on imaginé de jouer aux cartes. Le jeu soulageait et donnait une contenance à chacun. On préférait se borner à prononcer les mots consacrés du vingt-et-un : Je passe, etc., et éviter de lancer des phrases qui tout à coup attiraient d’une part ou de l’autre des reparties aiguës : car chaque parole semblait porter un éperon d’acier, et la plus inoffensive faisait quelque blessure, sans qu’on y eût mis d’intention. Pierre se déplaisait à son foyer, et le président