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— Vous aurez la meilleure femme du monde !

— Il n’y a qu’un malentendu entre nous, soupira Mathéus.

— Elle est douce, aimable ! » reprit le président en se levant et en pirouettant furieusement.

Aristide chantonnait derrière Henriette : « On te mariera, tra, la, la, la ; » mais effrayé de ce qu’elle se retournait vers lui, il s’enfuit dans la salle à manger.

Madame Gérard, étendue en mater dolorosa, semblait ne vouloir se mêler de rien. Pierre était tout désorienté. Le silence envahit le salon. Henriette, appuyée sur la cheminée, considérait sans le voir le cadran de la pendule, et sa main battait une marche sur le marbre.

Madame Gérard proposa un trente-et-un d’une voix affaiblie. Le curé refusa d’y prendre part, et le président, qui avait à passer son dépit, lui dit : « Vous ne nous croyez donc pas honnêtes gens ?

— Dieu m’en préserve ! » répondit le curé, trouvant fâcheux de tomber des mains d’Henriette aux griffes de M. de Neuville.

— Eh ! vous ne serez pas damné, dit le président ; les prêtres veulent toujours jouer le rôle d’un reproche.

— Oh ! monsieur Moreau de Neuville, pas plus que les juges ne veulent toujours faire arrêter quelqu’un.

— Bien répondu, monsieur l’abbé, dit Pierre ; allons, je vous ferai un piquet. Laissez-vous séduire. »

Les autres regardèrent la partie en silence.

Ce calme apaisa peu à peu les indignations d’Henriette, qui jouissait d’ailleurs de ses triomphes.

La tristesse de Mathéus, qui à chaque instant levait timidement les yeux sur elle, la désarma aussi.

« Pourquoi être si dure avec lui ? réfléchit-elle, il est bon au fond. »

Mathéus ayant vu à son visage qu’elle s’adoucissait, s’enhardit à la rejoindre.

« Quand je suis malheureuse, lui dit-elle, je dis beaucoup de choses vives que je ne pense plus un instant après. Puisque vous m’aimez, il faut me le pardonner.