Le président, qui n’avait pas entendu ce qui venait d’être dit, se présenta à son tour à la curée.
« Je vois au visage de l’abbé et de M. Mathéus, dit-il à la jeune fille, qu’ils n’ont pas eu à écouter des choses fort agréables. Ne tombez donc pas dans ces travers. Avez-vous l’intention de braver votre mère qui…
— Vous êtes le juge-commissaire de ma mère, riposta Henriette, et vous avez tout à fait ici une autorité de président. Le tribunal est partout où vous êtes…
— Vous recevez bien l’amitié ! interrompit-il, froissé.
— Et pourquoi non ? Les Caractères, dit-elle, faisant allusion aux écrits de M. de Neuville, exigent un esprit juste et non un esprit-juge.
— Et pourtant, répliqua le président avec un sourire de travers, je juge que les jeunes personnes n’ont pas l’esprit juste quand elles prétendent à la méchanceté et au sarcasme ! »
Henriette se laissa alors emporter à lui répondre : « Je me trompais : ce n’est pas l’autorité d’un président, c’est l’autorité d’un père que vous avez dans cette maison. »
Heureusement nul autre que lui n’entendit leur entretien. Il la quitta aussitôt.
Pierre demandait des explications sur ces troubles à sa femme, qui ne lui en donna pas. Le curé se réfugia près d’eux. Mathéus était muet. Cloué sur le canapé, il tenait les yeux fixés à terre, cherchant en quoi il était l’homme le plus faux de tous.
Henriette allait à droite et à gauche, feuilletant les livres, ouvrant le piano, dérangeant des chaises pour donner aliment à son agitation. Aristide ne manqua pas de tenter de lui prendre les doigts sous le couvercle du piano.
Le président, tout ému, vint s’asseoir tout à coup près de Mathéus, et d’une lèvre tremblante lui dit : « Cette jeune fille est vraiment charmante, surtout ce soir.
— Mais oui, répondit naïvement le vieillard. Oh ! qu’elle me donne le moyen de la convaincre ! Qu’elle ne s’y refuse pas !