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Elle prit un livre et essaya de lire mais la tête lui tournait. Elle aurait voulu saisir son frère à la gorge, ou lui répondre par des brutalités plus grandes que les siennes. Dans ses pieds, dans ses mains, dans ses lèvres, couraient des crispations, et ses regards inquiétaient Aristide, lorsque parfois elle les jetait sur lui.

« Oui, reprit Aristide, animé par le sentiment de la victoire, tu devrais être modeste et même rester cachée. Pas du tout, tu fais la princesse avec tout le monde, et surtout avec ton père et ta mère. Est-ce que tu crois qu’on ne te connaît pas, malgré ta mine de chattemite ? Est-ce qu’on ne sait pas que tu es une égoïste, sans cœur, que tu ne cherches qu’à te poser comme les actrices. Ton seul plaisir, c’est d’empêcher ce qui pourrait nous être avantageux. Tu as une jolie réputation dans le pays, va, et tu nous as mis dans de beaux draps !

« Il y a longtemps que je vois ton jeu. Tu as toujours voulu nous faire du mal. On trouve à te marier, à réparer ta faute. Un brave homme veut de toi ! Il y en a tant pour qui tu n’aurais été que du rebut et qui t’auraient laissée là en apprenant tes farces. Enfin, tout le monde aurait gagné à ton mariage ! Nous nous serions arrangés pour ce qui me revenait, puisque tu aurais été immensément riche, sans l’avoir mérité du reste : car il y a bien des pauvres filles honnêtes à qui ta chance devrait plutôt arriver.

« La Providence est pour nous, de permettre que ça puisse se terminer si bien. Mais toi, tu trouves plaisant d’essayer de faire manquer nos espérances. Tu te soucies bien que ta famille profite d’une si bonne occasion d’être plus heureuse ! Ah ! bon, le curé disait une fois que ma mère t’avait donné les meilleures leçons. Tu les a bien suivies ! C’est encourageant ! »

Henriette se demanda si elle n’assénerait pas un coup de son livre à Aristide, pour le contraindre à se taire ; mais Aristide ayant terminé son discours et voyant que sa sœur paraissait lire sans l’écouter, lui fit sauter le livre des mains par un coup furieux qu’il y appliqua et s’écria de sa plus grosse voix : « M’entends-tu ? »