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CHAPITRE XIV


chacun pour soi


Pierre Gérard allait tous les jours à Villevieille chez le forgeron, le menuisier et le serrurier qu’il avait chargés séparément d’exécuter les pièces de sa charrue.

Il voulait qu’elle fût prête, toute montée, en cinq ou six jours, et avant le mariage d’Henriette. Il rêvait déjà d’immenses manufactures dont il entendait retentir les cent mille marteaux.

Par ses discours enthousiastes, Pierre avait persuadé à certaines gens qu’il s’agissait d’une grande invention. Le bruit en circula à Villevieille, où M. de Gontrand s’écria : « Mais c’est l’arche de Noé que cette maison des Tournelles. Elle seule suffirait pour recommencer le monde ! »

Pierre songeait à joindre la grande industrie à la grande culture. En s’associant avec Mathéus, il eût pris des brevets d’invention et vendu des millions de charrues par le monde entier. Il avait donc de très fortes raisons pour que le mariage se fît. À sa colère de père désobéi s’alliait sa colère d’ambitieux retardé.

Aristide, quoique réjoui de bénéficier de la dot et de la part d’héritage de sa sœur, regrettait de n’être pas fille, de n’être pas Henriette, parce qu’il eût alors possédé la Charmeraye et la fortune de Mathéus.

Quant à Corbie, les Tournelles lui devinrent odieuses. Gêné, froissé, inquiet à la fois en présence de sa nièce, les galan-