Page:Duranty - Le Malheur d’Henriette Gérard.djvu/270

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

arrosoirs. Il en tenait la porte avec ses deux mains, blotti dans un coin où personne n’eût pu se fourrer. Au bout de deux minutes, sa terreur passa comme elle était venue, et il sortit du trou noir. Puis, sur la pointe des pieds, il eut la hardiesse d’aller jusqu’à la porte du salon écouter et regarder à travers la serrure. Il vit madame Gérard et madame Baudouin au milieu des étoffes. S’il avait pu rendre d’un mot à madame Gérard toutes les souffrances qu’elle lui avait causées ! Il revint sur ses pas et trouva l’escalier, guidé à peu près par l’instinct, car il éprouvait une angoisse effroyable, composée de plusieurs terreurs différentes. Émile parvint enfin dans le couloir où se trouvait la chambre d’Henriette. En y mettant le pied, il pâlit, et son cœur battit si fort qu’il croyait que toute la maison devait en entendre le bruit. Sa bouche devint sèche, sa langue se colla à son palais. Un vague et oppressant sentiment de culpabilité, de faute, lui rendait redoutables l’endroit, le bruit, l’heure, tout. Se voyant là, il croyait rêver. Émile touchait à Henriette et il s’attendait qu’en une seconde quelque catastrophe imprévue allait le précipiter du haut de cet escalier. Des siècles s’écoulaient pour lui, il n’osait plus avancer.

Une porte s’ouvrit dans le corridor, une femme de chambre en sortit et s’éloigna vers le fond. Émile, cédant à ses effrois immaîtrisables, redescendit cinq ou six marches pour se cacher, mais il aperçut dans le corridor inférieur le domestique qui traversait également. Ses jambes fléchissaient comme s’il eût bu, et le jeune homme restait sans haleine, pensant que, sans un miracle, il allait être surpris.

Il entendit un coup de sonnette, puis la voix de madame Gérard, et n’eut même plus la force de se pencher sur la rampe pour voir si on venait à lui. En se haussant cependant un peu pour regarder en haut, il aperçut la femme de chambre qui revenait, tournée de son côté. Il ne réfléchit pas et roula plutôt qu’il ne descendit jusqu’au premier étage.

Là, il écouta encore et s’arrêta. Voyant dans la maison tout le monde passer, remuer et parler, tout le monde, excepté Henriette, Émile eut l’idée qu’elle n’y était plus. Alors il partit machinalement, franchit comme un oiseau vestibule, al-