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— Vous voyez bien vous-même, s’écria le président, que votre conscience est bien ébranlée. Allez, chère enfant, aux yeux du monde et au nom du devoir, il faut épouser M. Mathéus, d’autant mieux que vous ne serez pas malheureuse avec lui. C’est le meilleur homme de la terre. Et, continua-t-il avec une gaieté aimable, ce genre de sacrifice est fort honorable et laisse après lui la satisfaction ! Vous aurez dans le monde le rang qui vous convient. Vous êtes digne de la plus grande fortune. La vie vous sera rendue douce et très brillante.

« Est-ce un vieux que vous redoutez ? Ils sont bien plus aimables, plus complaisants que les jeunes. Du reste vous avez trop d’intelligence pour qu’on insiste là-dessus. Comprenez seulement une chose : ces devoirs, ces lois, ces raisonnements, n’ont point été inventés exprès pour vous. Ils ont existé de tout temps pour des cas analogues au vôtre. Ils sont le fruit d’une sagesse très mûrie par toutes les sortes d’expériences, la sagesse du monde. Convenez-en au moins ! Pour ce qui concerne Émile, remarquez donc bien que les juges ont l’habitude et la mission de rechercher et découvrir les mobiles cachés. Vous êtes encore bien jeune, la vie s’ouvre admirable devant vous. Il ne faut pas vous perdre dans une fausse route, quand la vraie, la belle, vous est ouverte par ce mariage avec ce vieillard si antipathique ! Votre mère, qui est excellente et vous adore, ne persiste à lutter contre vos obstinations, passez-moi le mot, que parce qu’elle voudrait vous amener à concevoir qu’on ne se rétrécit pas, qu’on ne se parque pas étroitement, dans l’idée de passer ses journées avec un petit garçon plus ou moins gentil. Il y a des femmes qui ont su tout concilier dans la vie. Quelle existence plus active, plus utile, mieux remplie, que celle de votre mère, et vous aurez un plus vaste horizon ! »

Ici le président s’arrêta, n’ayant pas trop le courage de vanter lui-même madame Gérard à sa fille.

Puis il reprit : « Savez-vous que je suis très heureux que vous m’ayez écouté si patiemment ? Ceux qui portent des paroles de raison sont généralement mal venus ; la folie est un