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ment de cette fausse note du président, qui lui parlait comme à une petite fille ordinaire.

« Dans le monde, reprit le président, il y a une autre manière de voir. Je ne vous parlerai pas comme les prêtres, mais je veux vous faire toucher du doigt la vérité.

— Je ne demande pas mieux, dit Henriette à qui la patience revint, en pensant que peut-être, par hasard, elle entendrait un bon conseil.

— Ce jeune homme, continua M. de Neuville, celui que vous admirez, n’est qu’un petit roué ! Ah ! vous n’aimez pas une telle qualification, n’est-ce pas ? »

Henriette fit une moue dédaigneuse. Elle changeait de disposition, selon que les discours de M. de Neuville étaient maladroits, sensés ou cruels.

« Oui, un petit roué, qui a abusé de votre bonté et comptait faire une excellente affaire en vous épousant.

— On m’a déjà dit cela, répondit froidement Henriette.

— Oui, mais moi je puis vous débrouiller les incidents avec mon expérience d’ancien juge d’instruction.

— Eh bien ! reprit Henriette avec une tranquillité un peu méprisante, vous vous trompez complétement. Je connais Émile et vous ne le connaissez pas. Je vous en prie, n’en parlez plus ou parlez-en différemment.

— Ainsi, dit vivement le président piqué, vous êtes décidée à sacrifier à une chimère l’avenir et le bonheur de votre famille. Est-ce du bon sens ? Est ce… de la vertu ? se risqua-t-il à ajouter.

— Je mets ma vertu à attendre Émile, répliqua Henriette qui se raidissait.

— C’est une vertu qui ressemble singulièrement à une faute, à une grande faute ! Pourtant il est si facile d’oublier un être qu’on a à peine vu, lorsqu’il y a de si graves intérêts en balance !

— Ah ! s’écria Henriette laissant voir toute sa plaie, je suis bien assez malade et dévorée d’inquiétude, moi aussi. Si je ne m’attache fermement à une conduite fidèle et loyale, quelle femme serai-je donc ? que deviendrai-je plus tard ?