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l’individu lui est garantie par la société au moyen de la loi : donc toute revendication d’un homme lésé dans ses droits, dans sa propriété, est par cela même une sanction, une consolidation de la loi, de la société, puisque c’est un appel, un cri de veille, devant les dangers de destruction que laissent planer sur le monde la passion aveugle, l’avidité haineuse, on peut ajouter des basses classes ! Il ne faut pas épargner le boulanger ; au tribunal, on a le droit d’écraser son adversaire ; qu’il ait la tête courbée tout le temps que vous parlerez.

— Oui, répliqua M. Vieuxnoir, je vais vous lire un passage de mon plaidoyer, qui est juste dans le même sens ; le voici :

« Messieurs les juges, nous avons confiance en vos lumières : la magistrature française s’est de tout temps rendue glorieuse en terrassant l’iniquité, et la cause que nous vous soumettons est digne d’intérêt. D’une part, une famille honorable, dont tous les membres s’emploient noblement pour le bien de leurs concitoyens, une famille entourée de l’estime publique ; de l’autre, un homme parvenu à une fortune dont toutes les sources se perdent dans les sentiers de l’accaparement des manœuvres insidieuses, d’une finesse presque coupable, oserai-je dire ! Or, que s’est-il passé entre cet enrichi du hasard servi par l’intrigue et cette famille dont la fortune patrimoniale s’est accrue par le travail le plus élevé, le plus méritant, le travail agricole ! C’est celui-là même qui devrait faire oublier le passé par des scrupules de loyauté, seuls propres à le laver de soupçons auxquels je n’ai ni la volonté ni le droit de m’arrêter ; c’est celui-là qui, imprudemment, et peut-être devrais-je dire un mot plus fort, vient prêter le flanc à une accusation fondée et justifiée. Oui, serait-il trop sévère de qualifier une pareille conduite d’impudeur !… » Vous voyez, Madame, ajouta l’avocat, que je suis entré dans votre pensée.

— À peu près, dit madame Gérard d’un air négatif ; mais il faut surtout leur faire comprendre ceci ; j’ai écrit la phrase hier au soir, tenez : les esprits envahisseurs sont heureusement en petit nombre, mais ils sont audacieux ; il importe de rassurer les esprits droits et paisibles, et c’est en cela que le procès de M. Gérard a une haute portée. C’est plus qu’une