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cédure, et enfin la conclusion. Je me suis entouré de tous les textes, j’ai relevé les inexactitudes de l’avoué de la partie adverse. »

L’avocat se vit encore enlever le plaisir de parler ; madame Gérard l’interrompit : « Voici ce qu’il faut dire au tribunal. »

M. Vieuxnoir prit le parti de ne pas écouter, et il lisait ses pages, en guise de refuge et de consolation, tandis que madame Gérard continuait à faire résonner sa voix et ses phrases agiles, pour elle seule ; mais ses accentuations variées forçaient bientôt l’oreille de l’avocat, qui entendait malgré lui et ne pouvait suivre sur ses papiers le fil de ses propres idées.

« Pardon, Madame s’écria-t-il enfin voulez-vous me permettre deux mots ? »

Il y avait de l’amertume dans ce deux mots.

« J’aborde, ajouta-t-il, concurremment avec les faits, l’appréciation morale du rôle de M. Gérard parmi nos populations agricoles ; du vôtre, Madame, en créant des institutions de charité ; j’examine la vie et la conduite usurière de la partie adverse, et les grands principes de la morale décident la question. Vous voyez quelle force nous donne ce parallèle : car mon plaidoyer fait ressortir la modération avec laquelle, pendant plusieurs années, vous attendez qu’un remords, un bon sentiment amène la partie adverse à une restitution dictée par la probité, ne faisant appel à vos droits qu’à la dernière extrémité, guidée dans cette démarche pénible mais nécessaire par le soin de l’avenir de vos enfants, auxquels vous devez compte de l’administration de vos biens comme tous parents prévoyants et tendres. »

M. Vieuxnoir s’animait ; son nez, dans lequel semblait se résumer toute sa figure, se levait et se baissait, secouant les lunettes d’or avec force, lorsque tout à coup le discours de madame Gérard partit comme ces têtes de diable qui sautent d’une boîte à surprise. M. Vieuxnoir s’en trouva bâillonné net.

« Voici, selon moi, reprit-elle, comment la question doit être amenée. Le sentiment de la propriété est un des plus profonds au cœur de l’homme ; il est donc simple qu’il revendique énergiquement ses droits, ce qui est pour lui, en principe, affaire de vie ou de mort. Cette propriété, si utile à