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« Nous sommes prêts ? dit-elle.

— Oui, Madame, je vous apporte le plaidoyer. »

Elle continua sans l’écouter :

« Le tribunal est une institution humaine sujette à erreurs, et il faut donner le moins de prétextes possible à ces erreurs.

— C’est justement dans ce sens que j’aurai l’honneur de m’adresser à messieurs les juges, et je crois que vous trouverez mon plaidoyer…

— Je tiens beaucoup, dit madame Gérard, à ce que certaines intentions personnelles soient exprimées. »

L’avocat leva en l’air son nez chargé de grosses lunettes d’or ; il pressentait des explications qu’il ne comprendrait pas.

« On ne plaide bien sa cause que soi-même, » reprit madame Gérard.

« Ce n’est pas vrai ! » répondit dans le fond de son cœur M. Vieuxnoir, mécontent de ces mauvais traitements envers la profession d’avocat.

« Soyez bien pénétré des sentiments d’un propriétaire, continua la femme touche à tout, comme la nommait, dans la sévérité de ses froissements, M. Vieuxnoir. Puisez-y la logique, l’élan, qui entraînent les esprits. Le droit est pour nous ; les notions de justice, de vérité, sont autant d’armes contre notre adversaire. Les plans, les actes de vente, les témoins, sont en nombre suffisant pour détruire toutes les arguties et prétentions de ce vieux coquin de Seurot. On pourrait peut-être aborder la question des ambitions du parvenu, mais il faudrait alors un tact, une mesure, difficiles à garder. Flétrissez seulement l’avidité sournoise de ce boulanger !… »

« Je ne suis pourtant pas un imbécile » se disait l’avocat, étonné de cette rapidité à dire et de ces façons lestes de le conseiller.

« C’est ce que j’ai fait, Madame, répliqua-t-il, et ce que je vous démontrerai, si vous voulez bien me permettre de vous lire mon plaidoyer. J’ai divisé l’affaire en trois points : 1° la situation antérieurement à l’acquisition des Tournelles par M. Gérard ; 2° la conduite du voisin pendant la possession de M. Gérard et la reprise du terrain ; 3° la marche de la pro-