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— C’est pourtant très joli, répondit Émile, qui pensait qu’Henriette y habitait.

— Je m’y suis tant ennuyée

— Est-ce que vous voudriez partir d’ici ?

— J’aimerais mieux habiter Villevieille.

— Nous nous y serions connus plus tôt si vous y étiez venue… »

Il y avait entre eux une confiance très naïve. Il semblait que s’être revus fût pour leur simplicité de cœur un gage sérieux et solennel, et ils se sentaient si sûrs de leurs sentiments réciproques, cimentés par ce mutuel élan qui venait d’amener Émile aux Tournelles et Henriette au fond du parc, qu’ils ne songeaient pas à se tâter d’avance par les subtilités ordinaires au début de l’amour. Ils regardaient cette seconde entrevue comme un aveu tacite qu’ils s’étaient fait, et causaient ensemble ainsi que des amoureux engagés depuis un certain temps.

« Voulez-vous, dit Émile, me permettre de vous demander… mais ce serait peut-être indiscret…

— Quoi donc ?

— Pour parler, ce sera plus commode… je ne connais pas votre petit nom.

— Mais ni moi le vôtre.

— Nous pourrions bien nous faire mutuellement ce petit cadeau », dit gaiement Émile.

Ils trouvèrent que c’étaient deux forts jolis noms, quoique chacun fît mine de ne pas être content du sien.

Il est assez difficile de suivre la filiation des idées ; je ne sais si cet échange des noms rappela à Émile les fiançailles, l’échange des anneaux : l’idée d’épouser Henriette traversa son cerveau comme un éclair, mais il comprit qu’il était bien tôt pour en parler.

Henriette demanda à voir l’endroit où il avait sauté. La trace des pieds était marquée sur la terre.

« Il faut effacer cela » dit-elle.

Puis, calculant la hauteur du mur :

« Mais il y a de quoi se tuer ! s’écria-t-elle ; il faudra bien prendre garde »