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a peut-être pas enseigné la réserve et la prudence inflexibles que nécessitent par exemple les tentations multipliées et les dangers de la vie de Paris. Il est difficile qu’elle ne se sente point de reconnaissance envers un garçon qui a exposé sa vie et franchi une muraille pour la voir et lui parler.

D’ailleurs, la situation pénible d’Henriette, au milieu d’une famille qui n’était point un modèle de haute pureté, la poussait plus qu’une autre à se jeter brusquement dans le sein d’un jeune homme en qui elle mettait une sorte d’espérance, toute de pressentiment et d’instinct.

« J’ai tellement pensé à vous, reprit-il, que je n’aurais pas pu passer la journée sans venir ici.

— Moi, dit-elle, je m’étais levée toute triste ce matin.

— Pas moi, dit Émile mais je me suis presque querellé avec ma mère à cause de vous… »

Le cœur d’Henriette était bouleversé à chaque instant par des paroles qui s’y gravaient.

« À cause de moi !… dit-elle.

— Oui, elle me disait que cela ne signifiait rien.

— Elle aussi !

— Pourquoi elle aussi ?

— Parce que je n’entends pas dire autre chose par tout le monde.

— Est-ce que vous avez eu quelque ennui de la part de vos parents ? demanda Émile.

— Non, répondit Henriette j’étais triste ce matin sans savoir pourquoi. Je me figurais que… » Elle s’arrêta.

« Que… ? dit Émile doucement inquiet.

— Enfin, vous voyez que nous avons eu la même idée, puisque je venais de ce côté-ci, où je ne me promène pas habituellement. »

Puis, pour changer la conversation, dont le tour intime l’émouvait trop, Henriette ajouta :

« Eh bien, vous reconnaissez-vous encore aux Tournelles ?

— Oui, dit Émile ; voilà votre fenêtre. Quand M. Bertet est parti, j’étais loin d’imaginer que je reviendrais…

— Je ne m’y plais pas, dit Henriette.