« Un bien grand poète ! » répliqua madame Vieuxnoir, qui vit matière à glisser de nouveau l’amour, comme une couleuvre, sous la poésie.
Aristide reprit vivement : « Et faites-vous aussi des vers, Madame ?
— Hélas ! non, » répondit la petite femme, employant alors un autre grand système, celui de la plainte et de la mélancolie ; « dans notre vie du fond de la province, il vaut mieux avoir des aptitudes plus positives. Savez-vous ce que je fais ? continua-t-elle amèrement : je fais mon ménage, je compte mon linge, je surveille mes confitures, je recouds les boutons aux habits de mon mari. Voilà mon idéal ! C’est plus raisonnable, n’est-ce pas ? — Ah ! que la raison paraît pâle, cependant, devant les aspirations des poëtes ! » reprit-elle.
Aristide fut lancé dans l’infini. Il tordit sa cervelle comme une éponge qu’on égoutte, pour répliquer sur le même mode, le mode majeur.
« Sans la raison, dit-il, il n’y aurait pas de poésie, et sans poésie, il n’y aurait pas de raison !
— Vous avez déjà beaucoup pensé ! s’écria madame Vieuxnoir.
— Au milieu de mes préoccupations, je réfléchis ! dit Aristide d’un air modeste.
— Ah ! les préoccupations, reprit-elle, qui n’a les siennes ? Moi, mon intérieur est si triste, ma vie si vide ! Ainsi, j’aurais voulu recevoir un peu de monde, mais mon mari ne s’en soucie pas ; ah ! les maris ! »
Elle soupira et continua : « Je vais chez des juges, des notaires ; quelques dames de marchands de bois ! Est-ce là un aliment pour le cœur et l’esprit ? Mon mari est très bon, mais… »
Elle s’arrêta sur ce mais, puis continua : « Je le vois à peine ; il est si occupé ! Presque jamais il n’est ici. La fièvre de l’éloquence est une fièvre particulière qui absorbe les avocats ! Et puis quand il rentre, il est de mauvaise humeur. Il a aussi des manies… j’en souffre. »
M. Vieuxnoir rentra à ce moment même, et son arrivée mit