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elle et tâcher d’apprendre quelle partie du château, quelle chambre elle préférerait.

« Je serais heureux de vous offrir, Mesdames, une petite fête à la Charmeraye, dit-il.

— Nous irons bien volontiers, » répondit madame Gérard.

Mathéus regarda Henriette qui ne bougeait pas. Le vieillard était tout troublé de ce silence qui lui paraissait une nouvelle catastrophe.

Il reprit timidement :

« Je voudrais beaucoup avoir l’opinion de Mademoiselle sur la Charmeraye ; elle y verra des fleurs, elle qui les aime ! »

Henriette sentit quelles rumeurs sourdes passaient dans le sein de Mathéus, à cette façon de parler à la troisième personne, mais elle resta tout aussi muette.

« Je viendrai vous chercher un de ces matins à l’improviste, » ajouta Mathéus, n’osant croire qu’Henriette acceptait et n’ayant pas le courage de s’arrêter à l’idée qu’elle n’acceptait pas.

Quand Mathéus était là, le mot 80, 000 livres de rente courait dans l’air comme une guêpe dont on ne peut pas se débarrasser ; en dépit de tous ses sentiments, Henriette était curieuse d’essayer si sa mère avait dit vrai, si Mathéus ferait tout ce qu’elle voudrait, comptant employer cette certitude au service de sa malice et se venger de lui en le tourmentant.

« Tout le monde parle de cette belle propriété, je serai enchantée d’y aller, » dit-elle.

Le vieux homme fut électrisé autant que madame Gérard fut surprise.

« Ah ! s’écria Mathéus, il ne dépend que de vous, Mademoiselle, que la Charmeraye vous appartienne. »

Henriette, commençant à suivre ses nouveaux systèmes, répondit : « Oui, je sais, il ne dépend que de moi, mais encore faut-il que la Charmeraye me plaise ! »

Madame Gérard pensa que sa fille inventait quelque chemin couvert pour mieux surprendre et écraser Mathéus ; elle était sur les épines et prête à faire encore une scène terrible à Henriette.