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« Tenez, Madame, interrompit-elle, si vous saviez la vérité, vous comprendriez mes chagrins.

— Ah ! Eh bien, contez-les-moi, ma petite belle ; j’ai si bonne opinion de vous !

— Comment voulez-vous qu’il ne paraisse pas cruel d’épouser un homme qu’on n’aime pas, surtout un vieillard ? Au contraire M. Germain est un homme très distingué sous tous les rapports, et on ne veut pas le reconnaître ! Je l’aime, je lui ai fait une promesse : je ne cause de mal à personne en voulant la tenir ! »

Henriette se mettait à la portée de madame Baudouin par des paroles d’une simplicité primitive.

« Figurez-vous donc, continua-t-elle, qu’il y a peu de temps encore, mon père et ma mère trouvaient très mal qu’on mariât une jeune fille à un vieillard. Nous ne sommes pas absolument pauvres ; il n’y a donc pas de nécessité d’argent pour les pousser. Si on juge que M. Germain n’est pas assez riche, on peut l’attendre et l’aider à faire sa fortune. Je ne saurais vivre qu’avec lui. Si je l’aime, ce n’est point ma faute. Il n’y a pas là de calcul ; je ne pourrais pas m’en empêcher. Pourquoi m’accuser, alors ? Pourquoi cette irritation générale contre lui et contre moi ? Vous voyez qu’il est facile de comprendre pourquoi je me débats. Mes parents ont à peine un faible intérêt à ce mariage avec ce M. Mathéus, et moi le bonheur de toute ma vie est en jeu.

— C’est vrai, ma chère enfant ; votre cœur parle à sa façon, mais la société, la religion, veulent l’obéissance.

— La société ! dit Henriette, mais du soir au lendemain toutes ses lois sont renversées. Aujourd’hui, je suis obligée d’obéir, soit ; mais que demain je sois mariée à n’importe qui, et me voilà maîtresse de mes actions, armée contre ma famille, la quittant et pouvant la fouler aux pieds, avec l’opinion et la loi de la société pour moi, n’est-ce pas ?

— Ma foi, ma toute jolie, c’est bien un peu comme cela. Vous avez une raison et une pénétration remarquables. Mais, voyez mon exemple. J’ai été mariée à un homme beaucoup plus âgé que moi, et je n’en suis pas morte.

— Oh ! Madame, était-ce la même chose ? On m’arrache à