le bras sous le laminoir. Il avait les insistances maniaques d’une idée fixe, désirant goulûment, pour ainsi dire, sans raisonner, désolé de ses mésaventures et les oubliant pour recommencer à voler près de la chandelle.
Il se lamenta une partie de la nuit, entremêlant ses plaintes de nouvelles espérances, de nouveaux désirs, tendus comme la corde d’une arbalète. En fermant les yeux, Henriette passait, elle parlait, il la voyait traverser les grandes salles du château. Quand une porte s’ouvrait, il lui semblait que c’était elle qui entrait. Il songeait surtout à rendre contente la jeune fille pour qu’elle ne reprît plus sa figure du 28 mai. Et deux jours après cette soirée, il ne pensait plus ni au jeune homme ni aux répulsions d’Henriette. Au secours de sa passion, il avait souvent la prétention d’appeler les adresses mesquines et niaises qui lui servaient à séduire autrefois, mais auprès d’Henriette il devenait aussi sincère qu’il est possible. Elle aurait pu le faire mettre à plat ventre. Les vieillards ne savent qu’inventer pour plaire ; ils sont d’une humilité, d’une soumission sans bornes. L’instinct leur apprend qu’on leur échapperait sans ces tours de force. Quand il était seul, le vieux homme pensait qu’Henriette remplirait toutes ses petites manies, tous ses goûts à lui. Près d’elle, il n’était plus question que de suivre tous ceux de la jeune fille, et il ne s’apercevait pas de cette différence.
Aux Tournelles encore, lorsqu’ils furent seuls, Pierre quitta sa femme en lui disant sèchement : « Voilà ce qu’on gagne par l’exemple d’une vie sans tache !
— Vous ne savez ce que vous dites, répondit-elle ; nous ne devons rien nous reprocher mutuellement. Ne me mettez jamais dans le cas de vous dire aussi vos vérités. »
Pierre ferma la porte presque aussi violemment que sa fille avait fait ; mais à peine était-il couché, que sa femme arriva.
Elle se promena un instant, silencieuse, à pas rapides. Pierre, étendu sur le dos, ne la regardait point et n’ouvrait pas non plus la bouche. Leurs yeux roulaient, pleins de grosses colères.
« Il est impossible qu’il n’y ait pas beaucoup de méchanceté là-dessous ! s’écria tout à coup madame Gérard.