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que excitation nerveuse ou à de fausses idées. Je ne sais enfin ce que cela veut dire !

— On l’a trop habituée à faire des embarras, dit Aristide.

— Mais, monsieur Mathéus, que lui avez-vous donc dit ? demanda madame Baudouin.

— Madame, répondit le vieillard désolé, je lui ai parlé de mari, de moi ! Je lui ai beaucoup déplu. Quelle figure elle a faite ! Je ne l’oublierai jamais ! »

L’avocat emmena discrètement sa femme malgré elle, sans être remarqué.

« Et pourtant, continua Mathéus, elle aurait eu tout ce qu’elle aurait voulu. Je cherchais à savoir ce qui pouvait lui plaire ! Mais, si elle aime un jeune homme, les vieux n’ont qu’à plier bagage, » ajouta-t-il tristement.

Le désordre était un peu dans les idées de toutes ces personnes. Madame Gérard luttait péniblement et sans courage contre les difficultés qu’il y avait à rétablir la position ; Mathéus ne voyait que le départ d’Henriette et ne réfléchissait pas au rôle singulier de la famille Gérard que lui venait de révéler la jeune fille. Se mettant à faire le tour du salon, il feuilleta machinalement la musique d’Henriette et le livre où elle avait lu.

« Mais n’ayez point ce découragement, monsieur Mathéus, je vous prie, dit madame Gérard ; vous avez l’esprit trop ferme pour être ébranlé par le roman d’une jeune fille. Aidez-nous au contraire à la guérir d’un petit travers. Je vous assure qu’elle sera votre femme et que cela dépend de vous. »

Pierre chercha intrépidement à expliquer la colère de sa fille : « On ne sait jusqu’où va la coquetterie des femmes, dit-il ; pour éprouver la fidélité des gens, il y en a qui s’empoisonnent, qui font de la jalousie, qui inventent les moyens les plus singuliers, et ensuite elles redeviennent douces comme des moutons.

— Ah ! dit Mathéus, à qui cela paraissait plausible, je le sais bien…

— Oui, reprit madame Gérard, qui préférait poser nettement la question ; et en admettant d’ailleurs que vous ayez ce petit rival, il n’est pas bien dangereux. Vous auriez tort, sur-