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riette lorsque les joies de l’amour d’Émile lui donnaient un grand éclat, la trouvaient encore remarquablement jolie ; mais la beauté de la joie est plus belle, plus veloutée, plus musicale que celle de la tristesse. « Voilà l’état où il m’a mise, se dit-elle. Comme je suis changée ! Encore une mauvaise journée à passer. Qu’était-il besoin de ce dîner pour me montrer ce que je suis devenue ? Qui m’aurait dit, il y a trois mois, que je trouverais les heures si lourdes ? »

Henriette entra au salon avec une disposition de mauvaise humeur que chassèrent les exclamations de tout le monde à son arrivée.

« Qu’elle est charmante ! s’écria madame Baudouin, et quel air d’ingénuité !

— Oui, crois cela ! murmura le frère.

— Que dites-vous, Monsieur ? demanda madame Baudouin en se retournant gracieusement vers lui.

— Rien, rien, répliqua sèchement Aristide. Corbie sourit.

— Oui, voilà ma fille, s’écria Pierre ; un beau brin de fille.

— Ah ! dit Mathéus en prenant la main d’Henriette pour la baiser, on ne sait pas, après vous avoir regardée, si c’est un bonheur ou un malheur. »

Henriette ouvrit de grands yeux à ce compliment, et, pensant que Mathéus était de l’école de Corbie, elle regarda son oncle d’un air railleur.

Aristide, irrité, dit tout bas à Corbie :

« Voilà que ça va commencer. Il serait bien plus simple de la mettre dans une petite niche et de l’adorer.

— Que veux-tu ? dit Corbie, tant qu’on ne la connaît pas ! »

La femme de l’avocat était une petite femme mignarde et prétentieuse, faisant plus d’esprit qu’elle ne pouvait. Après le dîner, Aristide l’accapara pour ne plus entendre ce qui se passait autour de sa sœur, et lui tint des discours étranges sur divers sujets métaphysiques et psychologiques auxquels la petite femme provinciale répondit avec ardeur, en s’élevant à des hauteurs où Aristide perdit terre et confiance.

Près d’une fenêtre, M. Vieuxnoir, le curé et Pierre, parlèrent de sujets graves, tandis que madame Gérard, madame Bau-