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suffi. C’est un ange, une fée. Corbie, je suis trop heureux. Je voudrais être deux fois plus riche. Nous irons tout de suite chez votre belle-sœur : moi d’abord, vous après. Qu’Henriette dise ce qu’elle aime, qu’elle demande ce qu’elle veut ; j’enverrai à Paris. Elle ne se repentira pas de m’avoir épousé. Parlez-lui de moi.

— Oh ! dit Corbie, je ne veux pas avoir l’air d’influencer les gens ; elle saura bien vous juger, allez. Son père et sa mère lui parleront de vous.

— Je vous reconnais bien là, dit Mathéus, homme circonspect ! toujours peur de vous occuper des affaires des autres !

— Vous comprenez bien, répliqua Corbie, que je ne veux pas qu’on dise… vous savez, les gens qui font des mariages ont une réputation…

Il n’y a que vous pour avoir ces idées-là. Dites-moi, la verrai-je demain ou le jour que j’irai là-bas ? Pourrai-je bientôt lui parler ? Ce système d’études à distance est intolérable. Je l’ai jugée à première vue, je vous dis : rien ne me fera changer d’opinion.

— Elle est capricieuse, laissa échapper Corbie.

— Oh ! dit Mathéus, comme toutes les jeunes filles. Le mariage les calme. Et puis, qu’elle soit capricieuse, qu’elle ait tous les défauts du diable, je ne changerai pas un mot à ce que je viens de dire. Je m’étonne moi-même, je n’ai jamais été si sérieusement ébranlé. »

Corbie n’était pas content maintenant d’avoir inventé Mathéus, cet amant si passionné qu’il pouvait faire fondre à la chaleur de ses 100, 000 livres de rente la répulsion glaciale d’Henriette.

Le soir, les douleurs de Mathéus passèrent, il but du bon vin avec Corbie, et le lendemain, vers midi, il était aux Tournelles.

Si le pauvre Émile, qu’on avait reçu avec tant de dédain et un air si protecteur, avait pu voir quels sourires gracieux furent apprêtés et mis en jeu, que d’inclinaisons de tête, d’intonations caressantes, de paroles douces et engluées furent échangées, il eût éprouvé plus d’ironie que de colère.

Mathéus dit à madame Gérard et à Pierre :