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qui ne se souciait plus des tendresses de fin de saison, ne l’eût rappelé à la tranquillité.

Ces grandes histoires, qui troublaient les idées du président au sujet du portrait d’Uranie, animaient madame Gérard, qui les prenait comme on prend une tasse de café. Elle y était portée par besoin de comédie, besoin de remuement, et enfin par instinct de domination, car elle en avait reconnu l’effet sur ceux qui l’entouraient : ils les redoutaient beaucoup.

L’oncle Corbie restait seul immobile en apparence, au milieu de la fièvre mathéusienne qui agitait toute sa famille. Il ne voulait pas être soupçonné de ses mauvaises passions. Il en était puni d’ailleurs par la crainte absurde que Mathéus ne finît par plaire à Henriette.

Le jour où l’on attendait la seconde visite de Mathéus, Madame Gérard alla trouver sa fille qui n’avait pas paru depuis le matin.

« Ne descends-tu pas ? lui dit-elle.

— Non, répondit Henriette.

— Qu’est-ce qu’une pareille sauvagerie ?

— Je suis malade. »

Madame Gérard ne croyait pas à cette défaite.

« Alors couche-toi, dit-elle ; je vais faire venir le médecin. Si tu es malade depuis plusieurs jours, il faut le dire ; qu’est-ce que tu as ?

— Rien, la fièvre, du malaise. Il faut que je reste seule. Le repos me fait du bien.

— Au contraire, tu te distrairas en bas.

— Non.

— Henriette, il s’agirait cependant d’être sérieuse.

— Je demande qu’on ne me tracasse pas. C’est bien assez déjà de ce qui a été fait, dit amèrement la jeune fille dont les nuits et les journées devenaient pesantes.

— Quoi ? Qu’est-ce qui a été fait ? » s’écria madame Gérard en colère.

Henriette était sans défense contre la douceur ou le chagrin des autres, mais leur colère lui donnait une grande force de résistance.

« Je demande comme une simple compensation qu’on ne