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Au milieu de ces premiers soucis, ses traits ne s’étaient pas encore beaucoup altérés.

Enfin le grand jour arriva pour Mathéus. Des idées d’avenir l’agitaient comme un jeune homme, et il avait envie de sauter. Corbie vint le prendre et lui dit : « Mon cher, je vous engage à ne pas montrer trop vite vos intentions à ma nièce, soyez réservé auprès d’elle, comme si de rien n’était question.

— Pourquoi donc ? demanda Mathéus étonné.

— C’est à cause de vous-même. Vous l’étudierez bien mieux. Ne sachant rien, elle ne fera pas de fausses mines et se montrera dans tout son naturel. Seulement je vous préviens qu’elle est très fine.

— C’est en effet une bonne idée. »

Le vieillard avait fait atteler sa calèche, et l’arrivée aux Tournelles produisit quelque effet lorsque le cocher vint tourner habilement devant le perron.

« Je vous présente un ami intime, dit Corbie à sa belle-sœur.

Mathéus et madame Gérard évitèrent le ridicule des complimentations en ces circonstances, en parlant ensemble sans s’écouter, puis il y eut une demi-minute d’embarras et de silence.

Toute la famille avec le président et le curé était là, rassemblée comme par hasard ; madame Gérard sonna la charge contre Mathéus en lui disant :

« Il vous a fallu du courage pour passer de la vie de Paris à la vie de campagne, Monsieur.

— J’y suis venu par nécessité, dit Mathéus, et puis j’ai réfléchi qu’il valait mieux y rester. »

Mathéus était gêné par les nécessités de diplomatie qu’il devait employer. Il regardait Henriette de côté ; à peine ses regards arrivaient jusqu’à elle, qu’ils semblaient se sauver. Le vieillard était remué par des sensations de sang glacé qu’on sent se réchauffer. Dans sa vie, apparaissait tout à coup une espèce d’été de la Saint-Martin, et cela le rendait comme ivre.

Henriette l’avait vu avec une curiosité indifférente. La ve-