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Corbie tenait à ne pas changer ses habitudes des Tournelles. Il n’acceptait jamais.

Les soins hygiéniques que Mathéus était obligé de prendre de sa personne combattaient tous ses goûts et le tenaient dans un ennui profond. La lecture l’endormait, l’agriculture ne l’intéressait pas, les idées d’ordre n’arrivaient jamais jusqu’à lui : il n’aimait que les jeux de hasard, le monde, les veilles, et tout cela lui était interdit. La vie de Paris lui inspirait une terreur égale à son regret. D’ailleurs tout avait dû changer pendant son absence. Il n’eût pas retrouvé ses compagnons ; les maisons où il allait étaient fermées pour la plupart, et les filles des femmes à qui il avait pu faire la cour, mariées et mères à leur tour, ne l’eussent point reconnu. La paresse des vieillards l’avait gagné, depuis huit ou dix ans qu’il vivait à la campagne. Il faisait peu de visites et en recevait encore moins. Avant que sa tante fût morte, Mathéus s’occupait à la soigner et à attendre le moment de l’enterrer ; mais depuis, le vide constituait sa vie. Ses quatre-vingt mille francs s’écoulaient on ne sait comment ; il achetait des chevaux, des voitures, des meubles, les changeait et les rechangeait. On lui prenait et il prêtait beaucoup d’argent. Son régisseur lui avait fait faire plus d’une sottise coûteuse. Grâce à tout cela, l’un des personnages les plus riches de son arrondissement, il y était fort peu connu et peu influent. Ainsi, aux Tournelles, on ne savait son existence que parce que Corbie en parlait quelquefois.

Mathéus se promenait d’un air mélancolique dans une grande pièce à peine meublée, regardant à travers les fenêtres un éternel paysage qui l’ennuyait. Comme ses yeux mesuraient machinalement la profondeur de cette salle vide, il se dit que s’il y avait là une femme, une jeune et jolie femme pareille à celles d’autrefois, le château serait rempli et animé. Lorsqu’il vit entrer Corbie, il eut l’air joyeux d’un prisonnier que vient trouver un rayon de soleil.

« Ah ! comme vous arrivez bien, mon cher ! s’écria-t-il, je ne savais que faire.

— Bah ! dit Corbie ; comment, vous en êtes là, avec votre fortune ?