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mère et un homme d’esprit comme le président peuvent bien se tromper.

— Dame, je ne sais pas ! dit Aristide un peu interdit.

— Mais je disais, reprit Corbie, que j’ai des mérites qui en valent bien d’autres, sans parler d’une vie irréprochable que j’ai derrière moi.

— Ça, c’est beau ! s’écria Aristide.

— À ton âge j’ai souvent reçu les éloges des amis de mon père, ton grand-père à toi. Vois-tu, ce n’est pas un mal d’être honnête homme.

— Tiens, je crois bien.

— On ne peut pas se vanter d’avoir de l’esprit et du jugement, il faut être modeste ; mais je me vante de n’être pas pas bête qu’un autre.

— Il n’y en a pas beaucoup qui approchent de vous ! »

Les yeux de Corbie brillaient ; il se léchait pour ainsi dire les lèvres de cette douce conversation amenée sur ses qualités.

« Je suis complaisant, bon enfant, reprit-il ; je suis accessible à toutes les jouissances ; enfin, plus je m’examine, plus j’en arrive à la conviction que je suis un homme complet, n’est-ce pas ?

— C’est bien sûr, dit Aristide.

— C’est même, reconnais-le, un avantage sur les jeunes gens, qui ne sont pas encore complétés, eux, justement à cause de leur jeunesse. »

Aristide était très heureux d’être élevé ainsi au niveau d’idées très hautes, et surtout de les comprendre.

« On ne peut pas dire le contraire, répliqua-t-il.

— Aussi, dit Corbie, je ne vois pas comment j’aurais fait un si mauvais mari.

— Pour ça, non, il n’y a pas de raisons !

— Henriette m’a refusé, cependant : ou c’est une méchante petite sotte, ou c’est une méchante petite coquette, et de toutes les façons, si j’avais su…

— À votre place, je ne serais pas content non plus. Mais moi, elle m’a souvent empêché de m’amuser quand nous étions enfants. Il n’y avait déjà pas moyen de vivre avec elle.