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thieu, au fils du maire, au capitaine Giroux, au vieux percepteur Besson, auxquels se joignaient un jeune musicien et un pépiniériste, le tout formant la haute société du village !

Le gros homme n’avait un logis que pour y lire dans son lit et dormir. Sa vieille servante s’étonnait souvent d’avoir si peu de rapports avec son maître, et était loin de se douter qu’il avait peur de donner prise à de mauvais bruits à propos d’elle.

Quand il eut bu avec Aristide, Corbie lui dit :

« Eh bien ! tu vas être fâché que ta sœur nous quitte, si elle se marie ?

— Moi ! répondit Aristide : pourquoi ça ? Ma sœur ne m’aime pas ; et puis les filles, c’est fait pour être mariées.

— Il est sûr qu’elle n’a pas beaucoup de cœur, dit Corbie ; nous pouvons bien en parler entre nous.

— D’autant qu’elle se gêne peut-être pour être désagréable aux autres ! »

Corbie rougit ; sa personnalité, toujours en éveil, lui fit croire qu’Aristide savait son aventure.

« Comment ! s’écria-t-il, est-ce qu’elle a parlé de moi ?

— Non, mais je veux dire ses manières. Elle fait sa tête, comme si elle savait tout. C’est égal, la voilà joliment vexée à présent. Ça m’amuse.

— C’est une chose qui me passe, dit Corbie : j’aurais été jeune fille, je ne me serais pas conduite comme ça.

— Ce qu’il y a de bon, c’est qu’on la vantait toujours : Henriette par-ci, Henriette par-là. Et puis, c’était sur moi que tout ça retombait. Ça leur a appris, du reste, à préférer Henriette ! Et encore c’est parce qu’elle est jolie ; qu’est-ce que ça dit d’être jolie ?

— Est-ce que tu la trouves bien jolie ? demanda Corbie.

— Je ne sais pas ; non, une figure insignifiante.

— On paraît quelquefois et on n’est pas ; mais ce qu’elle a, c’est beaucoup de malice, et c’est d’autant plus traître qu’on ne le croirait pas.

— Non, on ne le croirait pas. Quelquefois elle ne comprend pas.

— Oh ! pour comprendre tout, je te réponds bien que si.