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s’exhalait là-dedans cette terrible odeur de pipe, de vin, de bière, d’eau-de-vie, particulière à ces endroits, et qui semble en imbiber tous les objets. Le chat lui-même et le bonnet bleu sentaient cette odeur.

Mais ces impressions n’existaient pas pour Corbie ; il ne voyait autour de lui que trois choses : un café, un village et du beau temps.

De même qu’on entortille un long peloton de laine autour d’une carte, de même toutes sortes de réflexions, de récriminations, relatives à sa nièce, s’entortillaient autour de sa cervelle grotesque. Cette belle et agréable Henriette d’autrefois devenait une créature méchante et disgracieuse. L’offense qu’elle avait faite à Corbie effaçait tous ses charmes. Furieux de n’avoir pu mettre la main sur ce papillon, il lui souhaitait une longue épingle au travers du corps. L’homme chaste tardivement enflammé ne pardonnait pas un aussi irrémissible échec de ses désirs. Il appelait cela une mystification, et croyait à des coquetteries habilement dressées pour le mieux bafouer. Sans son frère et sa belle-sœur, il aurait publié partout qu’Henriette avait été séduite. Chez de pareils êtres, l’égoïsme est développé d’une façon presque maladive. Il faut qu’ils se vengent d’un mécompte. Corbie rêvait des vengeances mystérieuses et ténébreuses.

Aristide vint le même matin à Bourgthéroin, acheter de la corde pour jouer au pendu avec Perrin. Le comique de ce jeu devait consister à étrangler aux trois quarts le malheureux idiot, ou bien à le suspendre, par les bras, à un arbre, et à l’y laisser pendant une heure. Corbie aperçut son neveu et l’appela. Aristide lui paraissait un être judicieux et profond.

« Viens donc prendre quelque chose avec moi ! »

Corbie ouvrit les armoires, en tira des verres et une bouteille d’eau-de-vie, faisant le service avec le petit orgueil d’un homme qui montre qu’il est de la maison. Ce café était en effet l’endroit où Corbie passait sa vie lorsqu’il n’était pas aux Tournelles ; il s’y plaisait, parce que les cinq ou six habitués de ce lieu infect et désagréable regardaient M. Gérard comme une sorte d’oracle ; il faisait le transit de la conversation des Tournelles et l’apportait arrangée à sa façon à madame Ma-