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— Ah ! vous y viendrez ! » s’écria l’oncle Corbie enchanté.

Il la suivit hors du salon et lui demanda

« Voudrez-vous danser avec moi, quoique… Enfin si je vous invite ?

— Certainement, dit Henriette en souriant, rien n’est plus convenable. »

Le président et madame Gérard, restés ensemble, causèrent à demi-voix.

« Mon cher Charles, cette petite fille a un esprit insolent qui me met hors de moi. Cette tranquillité en vous disant des choses désagréables est exaspérante.

— Je crois, répliqua M. de Neuville, que des formes trop impératives la froissent un peu.

— J’ai peut-être des torts envers elle, allez-vous dire ? reprit madame Gérard.

— Ma chère amie, personne n’a de torts ici…

— Je trouve qu’elle en a…

— Des caprices d’enfant ne sont pas très importants.

— Vous avez raison de prendre son parti : elle est toujours fort aimable pour vous.

— C’est ce dont il ne faudrait peut-être pas nous plaindre.

— Mais je ne lui en fais pas un mérite. Je me suis toujours assez bien comportée envers elle pour qu’elle n’ait rien à me reprocher.

— Ne la croyez-vous pas pénétrante ?

— Oh ! elle n’a que de l’amour-propre. »

Comme on le voit, Henriette était jugée diversement par les siens, et, en général, avec plus de malveillance que de tendresse.

Du reste, voici pourquoi cette jeune fille se refusait à aller au bal contre le gré de sa famille, et ce n’était point, en effet, la première résistance qu’elle eût faite aux désirs des siens, à leurs goûts, à leurs penchants ou à leurs sentiments. Au moment où ces récits commencent, une sorte de lutte s’engageait entre elle et ses parents.

Depuis longtemps elle songeait qu’elle ne vivait point dans une bonne atmosphère, au milieu des quelques difformités mo-