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Les chiens, mis en éveil, s’élancèrent de son côté en aboyant, et le bruit des pas du garde qui arrivait précipitamment s’éleva dans le massif. Émile se laissa retomber à l’extérieur, découragé par tant de précautions.

Il ne se ranima qu’en voyant la lumière d’Henriette briller dans sa chambre ; se sachant attendu maintenant, il allait recommencer l’escalade malgré tous les obstacles, décidé à passer sur le ventre du garde et des chiens, lorsque cette lumière, ce vrai phare d’espérance, s’éteignit, et il ne remarqua plus qu’une petite lueur faible dans la chambre de madame Gérard. Il s’appuya contre un tronc d’arbre, les yeux fixés sur la maison, attendant sans attendre, et plein d’une ironie singulière et désespérée contre ses mains et ses genoux ensanglantés pour un pareil résultat.

Sa tête s’engourdit et il pensa à des choses très éloignées de sa situation. Ce ne fut qu’au bout de deux heures peut-être que la fatigue physique surmonta cette prostration morale. Ses mains et ses genoux le faisaient souffrir : de petits morceaux de verre étaient entrés dans sa chair de manière à ne pouvoir être ôtés ; le sang s’était arrêté et coagulé, et l’inflammation commençait très douloureuse.

« Si elle me voyait, se dit-il, elle me pardonnerait ! »

La route lui parut longue pour rentrer chez sa mère ; il se bramait épuisé de fatigue, de souffrance, d’impatience et de chagrin. Le chemin qu’Émile parcourait ordinairement en une demi-heure lui demanda une heure et demie. Il faillit tomber deux ou trois fois, n’ayant pas le courage de pousser plus loin ; enfin, à force de luttes, après s’être dit cent fois, en reconnaissant divers arbres ou diverses maisons : Ah ! mon Dieu, je ne suis encore que là ! Il toucha sa porte.

Madame Germain s’était levée et attendait avec inquiétude. Elle poussa un cri en le voyant tout sanglant.

« Tu veux donc te tuer !

— Peut-être ! » répondit Émile, qui pouvait à peine parler.

Sa mère fut obligée de le déshabiller, de le mener à son lit, comme elle put. Le pauvre garçon était pris d’une fièvre qui l’anéantissait. Elle le soigna toute la nuit, sans médecin, sans médicaments. Elle lui voyait ces petits morceaux de verre