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dame Gérard venait à examiner le courrier de la maison au moment du départ. Elle fit une maladresse.

« C’est que, dit-elle, je ne voudrais pas qu’on le sût. »

Malheureusement, Marie, tout en aimant beaucoup mademoiselle, était une femme pleine de scrupules vertueux.

« Oh ! Mademoiselle, dit-elle avec étonnement, vous écrivez donc en cachette ?

— Ma bonne Marie, reprit Henriette presque suppliante, vous me rendrez un grand service. Je vous jure que ce n’est rien de mal. Demain, quand vous irez à la ville, mettez vous-même la lettre au bureau. »

Marie, émue par le ton de sa maîtresse, promit et prit la lettre ; mais plus tard, fortement tourmentée par ses principes, elle ne voulut pas porter des messages coupables et elle remit la lettre à madame Gérard. Il pouvait bien y avoir aussi là-dessous quelque idée d’augmentation de gages.

« Dites à mademoiselle Henriette que vous l’avez mise à la poste, » lui dit madame Gérard.

Celle-ci lut la lettre d’Henriette. Elle y trouva ce qu’elle appelait les enfantillages accoutumés ; seulement quelques passages la frappèrent davantage : elle vit qu’Henriette semblait être sur ses gardes. Elle ne pouvait plus employer la même candeur de mensonges pour la ramener au bien ; elle regretta de n’avoir pas pensé à déclarer à Émile qu’Henriette était complétement désabusée de lui, et fut prête à regarder sa fille comme très fine pour avoir eu la crainte qu’on n’employât ce système. Enfin elle haussa les épaules au passage où Henriette parlait de sa réputation avec tant d’imprudente exaspération et murmura : « Cette enfant est absurde, on aura bien de la peine à lui rendre l’esprit droit ! »

Dès le même jour, madame Gérard prit ses mesures de défense comme dans une place assiégée. Le fils aîné d’un des paysans fut chargé de faire des rondes la nuit avec deux gros chiens qu’on lâcherait dans le parc ; Aristide dut continuer à surveiller secrètement les mouvements de sa sœur. Les arbres qui bordaient le mur, et qui avaient servi à Émile pour pénétrer dans les Tournelles, furent abattus ; les domestique furent prêchés Marie reçut mille compliments sur son honnê-