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Ce système d’explications sincères ne paraissait pas trop sûr à madame Gérard, mais elle n’en voyait pas de beaucoup meilleur.

« Il est encore possible, reprit-elle, que les prenant ainsi au milieu de l’émotion qu’a dû causer la découverte de ton portrait, ils se laissent plus facilement persuader. »

Madame Germain désirait que son fils sût à quoi s’en tenir et le pressait par n’importe quelles raisons.

« Tu m’as dit une chose, reprit-il, à laquelle je n’avais pas songé et qui me frappe : madame Gérard sait ce que c’est que l’amour, puisqu’il y a le président ! »

Cette fois, madame Germain ne put résister au besoin de rectifier ces jeunes idées.

« Oh ! dit-elle, il ne faut pas imaginer qu’il y ait rien de semblable là-dedans. Madame Gérard et cette autre personne sont à cent lieues de ta façon de comprendre l’amour. C’est mêlé pour eux d’une combinaison très subtile, avec les usages du monde, les convenances. Ne va pas au moins invoquer cela auprès d’elle pour la fléchir.

— Oh ! répondit Émile, je ne suis pas encore assez sauvage pour que tu aies une pareille inquiétude. Puis il ajouta gravement : Faudra-t-il mettre une cravate blanche ?

— Mais non, ta noire suffit.

— Ah ! j’aime mieux cela, je serai moins emprunté dans mes manières. D’ailleurs je sens que ce que je dirai commence à se débrouiller dans ma tête. »

Pendant la nuit, l’imagination d’Émile créa plus de dix conversations différentes dans lesquelles il inventait les réponses de madame Gérard. Tout seul il s’exaltait, il trouvait des mots magnifiques et gagnait la bataille ; malheureusement le lendemain matin il avait oublié ses improvisations et ne put se les appeler.

Le temps était gris, froid et humide, et le glaça. Émile ne supportait pas certains aspects du ciel qui causent un sentiment d’oppression. Des nuages courant très bas, d’une couleur sombre entremêlée de clartés livides, étouffées peu à peu par le noir et le gris qui augmentaient d’intensité ; les masses