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— Mais c’est mon seul crime, dit Henriette, d’avoir ce portrait !

— Laisse-moi parler, reprit madame Gérard. Nous t’avons élevée dans les meilleurs principes que puisse recevoir une jeune fille ; nous avons eu en toi pleine confiance, et vois comme tu nous a récompensés : le premier homme venu est accueilli par toi ; tu dissimules, tu te tais, au risque de courir les plus grands dangers. Pourquoi ne nous l’as-tu pas dit ? Pourquoi ne nous as-tu pas dit que tu voulais te marier ? Nous n’aurions pas refusé de remplir ton désir, sois-en sûre. »

Henriette fut désarmée par cette dernière phrase, où elle crut voir une immense bonté.

« C’est ce que j’ai toujours voulu, répondit-elle. On devait t’en parler de jour en jour, mais le temps a passé si vite !

— Attends que j’aie fini, dit madame Gérard, tu te justifieras ensuite, ce que je souhaite vivement. Je te reproche surtout de n’avoir pensé qu’à toi et pas du tout à nous. Ces jeunes gens qui font métier de séduire…

— Oh ! ce n’est pas lui qu’il faut…

— S’en vantent partout et publient orgueilleusement le déshonneur des familles. Cela retombe sur ! es parents. Ta faute paraîtra notre faute. Je suis indulgente, car une autre te traiterait plus durement. Ah ! les enfants sont vraiment trop égoïstes !

— Veux-tu que je te dise comment cela s’est passé ? reprit Henriette, émue.

— Comment s’appelle ce jeune homme ? qui est-il ? un homme qui a l’audace de venir ici en plein jour !

— C’est un employé de la sous-préfecture ; du reste, il doit venir te voir demain.

— Comment, me voir !

— Il a toujours été convenu que nous nous marierions.

— Toujours ! Depuis quand donc cela dure-t-il ?

— Depuis près de deux mois. C’est au bal du receveur que je l’ai vu ; le lendemain, il est venu. C’est un jeune homme très honnête, très bon et très loyal.

— Deux mois ! s’écria madame Gérard stupéfaite et personne ne s’en est aperçu ! Mais quand donc ? le soir ?