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homme, créature d’un ordre supérieur et merveilleux, dont tout l’être était caressant, espèce de bon génie dont la voix, les yeux, la tournure, les paroles, avaient un empire mystérieux et plein de charme sur elle, qu’elle subissait la fascination de cet être « supérieur » avec une entière candeur et s’y laissait aller comme on se laisse aller au courant d’une belle rivière, claire, éclatante, bordée de fleurs et d’ombrages.

Elle ressentait, sans pouvoir s’en rendre compte, ce qu’on éprouve vis-à-vis des belles choses ; elle sentait que sa vie devenait une fête, un plaisir perpétuel.

Il n’y a pas d’oiseau blotti chaudement dans son nid qui s’y trouve aussi bien que Lévise se trouvait, lorsqu’elle était assise devant la fenêtre dans la chambre d’en bas chez Louis, et travaillait activement.

Quant à Louis, malgré les efforts qu’il faisait pour se tromper lui-même, il ne cessait de penser à Lévise, à tout ce qui se rattachait à Lévise, à son frère qui la frappait, mais qui ne la frapperait plus impunément, et ce qu’elle n’avait pas voulu avouer les causes de la querelle, à la présomption qu’il ne fallait point lui laisser acquérir de se croire aimée, au plaisir d’exercer vis-à-vis d’elle cette haute vertu, cette haute loyauté d’étouffer la tendresse, « si elle venait », plutôt que d’exposer la jeune fille à une faute, et en même temps au bonheur qu’il y aurait d’aimer cette personne sans se contraindre, et à la facilité qui se présentait de le tenter ! puis à des choses plus éloignées, plus enfoncées dans l’avenir, à toute l’existence qu’on pourrait mener avec Lévise ! Louis termina enfin ses songeries en revenant vers un fait plus proche : le dîner de la veille à la cuisine. Comment régler désormais ce grand point du dîner ?

Louis ne pouvait continuer à s’attabler dans la cuisine.