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jusqu’à la résistance et à la basse moquerie d’Euronique, formait maille pour retenir son esprit uniquement dirigé vers Lévise. C’étaient d’invisibles cordes qui se nouaient à lui, attachées par l’autre extrémité à la jeune fille, et il était conduit et poussé dans un chemin d’où il ne pouvait plus sortir et qui le menait droit vers elle.

Bien souvent, dans les choses d’amour, il semble que cette première sympathie qui naît entre deux personnes jusqu’alors étrangères l’une à l’autre engendre d’elle-même une foule de petits hasards qui doivent l’agrandir et la transformer en passion.

Euronique, qui était d’une familiarité impossible à réprimer, se mit à rire et dit :

— Allons ! allons ! vous êtes amoureux !

L’insistance d’Euronique à mettre le doigt sur la plaie de Louis, qui ne voulait pas s’avouer qu’il fût amoureux, et qui d’ailleurs n’était encore qu’attiré vers la jeune fille, le troublait. Comme il démêlait bien à quel degré en étaient ses sentiments, il était contrarié qu’on l’accusât d’amour.

La dernière réplique d’Euronique l’exaspéra.

— Euronique, lui cria-t-il, vous commencez à me fatiguer !

— Mais c’est monsieur qui me parle ! riposta la vieille servante avec le sang-froid habituel aux êtres taquins et hargneux.

Louis sentait facilement le comique, le sien propre et celui des autres, mais cette fois la lutte soutenue contre Euronique ne lui apparaissait pas sous son côté bouffon et inférieur. Il la prit au sérieux et fut en proie toute la journée à une violente mauvaise humeur qui ne se dissipa que vers la nuit, où probablement une divinité bienfaisante intervint et dessina devant l’imagination du jeune homme un petit tableau frais et réjouissant.