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— Ce sont les branles ! C’est pour l’arrivée de l’été, les garçons, les filles et les enfants s’en vont chanter dans les vignes.

Louis et Lévise s’amusèrent quelque temps à regarder et écouter. Toutefois ces chants, ces lueurs au milieu de la nuit se perdaient dans l’obscurité générale qu’ils n’égayaient pas. Les torches se consumèrent jusqu’au bout, et il n’en resta plus que quelques-unes d’où s’échappaient les dernières étincelles. Le branle s’éloigna à travers les vignes laissant une trace à peine saisissable de son passage par quelques feux scintillants et des chants de plus en plus assourdis.

— J’aimais bien à courir les branles quand j’étais petite, dit Lévise.

Une bande de jeunes paysans vint à passer à deux cents pas d’eux en chantant. Ils revenaient du branle et les seuls mots de leur chanson qui fussent distincts étaient deux rimes terribles : « La Hillegrin » et « son pain ».

On faisait des chansons contre Lévise dans le village !

La première impression de Louis fut terrible. Quelque chose comme l’illumination d’un éclair traversa son cerveau. Il fut terrible. Les gens du village poussaient un redoutable cri de guerre, et c’était à Lévise que la guerre était déclarée. Il fallait vivre en ennemis, peut-être en assiégés parmi ce peuple grossier ! et quelle mortification, quelles insultes n’allaient pas retomber sur la tête de la jeune fille ! Comment la protéger, comment châtier l’insolence des paysans et l’en préserver ? La position lui parut effrayante, il ne connaissait personne à Mangues, et ne pouvait se faire d’alliés, de partisans, de défenseurs au besoin. Pour sa part, il dédaignait trop les paysans pour s’inquiéter de leurs dispositions à son égard ; mais ce qui le désespérait, c’est qu’il voyait que Lévise seule