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Avec ses cinq mille francs, Louis courut à Mangues si promptement qu’il s’en brouilla presque avec ses parents. Voici pourquoi il vint à Mangues.

Pendant son voyage, Louis avait traversé Mangues. Le village lui apparut comme une sorte de paradis terrestre.

La campagne autour de Mangues « l’attendrit » particulièrement. Il s’enfonça avec délices sous le couvert de ces chemins bordés de hautes haies pleines de senteurs et de fleurs à couleurs vives. L’ombre, joyeusement mêlée de soleil, que projetaient de jeunes arbres au-dessus de sa tête, lui parut préparée exprès pour lui. Le vert lui sembla plus jeune, plus vigoureux dans les feuillages et dans les gazons de ce village que partout ailleurs. Il « baignait » ses pieds dans le sable jaune des chemins avec un frémissement de joie, et le bruit rapide et doux d’une rivière qui contournait les maisons, et dont on apercevait la blancheur brillante à travers les arbres, le remplissait de volupté.

Un sentiment de bonheur, de repos, le saisit et le sollicita impérieusement de vivre enseveli sous cette verdure qui promettait la quiétude.

Là, il serait à lui-même et porterait plus doucement le poids de la mélancolie. La, il sentirait moins âprement le dégoût de cette vie dont les portes ne s’ouvraient point devant lui. Là peut-être, une femme… viendrait au secours de sa détresse. De là aussi sortirait quelque livre éclos dans une atmosphère fraîche, saine. Là, il chasserait, travaillerait, encouragerait les paysans, leur apprendrait… n’importe quoi, deviendrait un patriarche provincial. En un mot, il fit un long rêve mêlé de toute sorte de désirs, de folies, d’enfantillages, d’espérances, et traversa lentement Mangues, puis le dépassa et s’éloigna.