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Dieu, dans le baptême, des fils spirituels ; quelquefois elle est appelée Fille, selon cette parole du prophète : « Pour remplacer tes ancêtres, des fils te sont nés. » De même, elle est appelée Veuve parfois, parce qu’à cause des afflictions qui pèsent sur elle, elle s’habille de deuil, et que, comme Rachel, elle ne peut se consoler ; quelquefois elle est représentée sous l’image d’une Courtisane (Meretrix), à cause de l’Église rassemblée parmi les nations, et parce qu’elle ne ferme son sein à personne de ceux qui reviennent à elle[1]. Quelquefois on l’appelle Cité, à cause de la communion des saints, ses citoyens ; ont dit aussi qu’elle est garnie de murailles, à cause du rempart des Ecritures dont elle se sert pour repousser les attaques des hérétiques ; enfin, elle est faite de pierres et de bois de dif-

  1. « Quandoque meretrix figuratur, propter ecclesiam de gentibus congregatam, et quia nulli claudit gremium redeanti ad se. » Magnifique image, sublime et consolante pensée ! Ces comparaisons, qui choquent quelquefois nos oreilles et notre esprit, n’alarmaient pas un siècle chaste sans pruderie, naïf comme l’enfant qui appelle tout par son nom. Le livre inspiré de Dieu, la Bible est remplie de ces pensées qui empruntent leurs couleurs à des choses dont notre faiblesse s’effraie, mais qui, loin d’épouvanter les siècles de foi, faisaient jaillir des sermons de saint Bernard des traits dont la traduction nous est défendue aujourd’hui, grâce à notre extrême civilisation, et dont voici un énergique exemple : « Attende homo, quid fuisti ante ortum, et quid es ab ortu usque ad occasum, atque quid eris post hanc vitam. De vili materia factus, et vilissimo panno involutus, menstruali sanguine in utero materno fuisti nutritus, et tunica tua fuit pellis secundina : sic indutus et ornatus venisti ad nos !… Unde superbis homo, cujus conceptio culpa, nasci pœna, labor vita, necesse mori ? Cur carnem tuam pretiosis rebus impinguas et adornas, quam post paucos dies vermes devoraturi sunt in sepulcro ? Animam vero tuam non adornas bonis operibus, quee Deo et angelis ejus praesentanda est in cœlis ? (*)
      Peut-on imaginer rien de plus hardi : la chaire évangélique seule a pu retentir de ces accents ; seule elle a pu, par la bouche de ses ministres, toucher à toutes les misères de l’homme sans le faire rougir ; car c’était près de l’autel, et dans les livres inspirés de l’Évangile et des Pères de l’Église dont saint Bernard fut le dernier, que le peuple chrétien, hommes, femmes et enfants, entendaient ou lisaient ces choses qui révoltent à présent notre pauvre intelligence, depuis que nous avons remplacé la foi par la raison et ses tristes erreurs.

      (*) Ce passage admirable de la troisième Méditation de saint Bernard est imité lui-même des Soliloques de saint Augustin ; Gerson l’a développé dans un de ses ouvrages intitulé : le Miroir d’Humilité (Speculum humilitatis). V. 0. Le Roy. Etudes sur les mystères. Manuscrits de Gerson, p. 450.