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nation ardente qui exaltait encore chez elle la force du caractère et donnait à ses vertus, que ce fût le sentiment de l’honneur ou le pardon des injures, quelque chose de passionné[1].

Telle était la mère d’Évariste Galois. Il faut la connaître pour le bien comprendre lui-même, et il faut savoir aussi que, jusqu’à l’âge de douze ans, il n’eut pas d’autre maître. Sur cette première partie de sa vie, ce qu’on sait de sa mère est à peu près tout ce qu’on sait de lui. Comme elle n’est morte qu’en 1872, âgée de 84 ans, il m’a été assez facile de rencontrer des personnes qui l’ont bien et longtemps connue : elles ont gardé très précis le souvenir de son intelligence restée vivace jusqu’au bout, de sa générosité poussée, paraît-il, jusqu’à l’imprévoyance ; il m’est arrivé même de l’entendre taxer d’originalité et de bizarrerie, et j’ai cru devoir le noter, parce que cela aussi aide à expliquer des jugements analogues portés sur son fils, qui tenait assurément d’elle les principaux traits de sa personne morale. Quant à lui, mort si jeune et depuis soixante-quatre ans, les parents ou les amis qui l’ont connu, lorsqu’il était encore l’élève de sa mère, sont devenus très rares, et les souvenirs qu’ils ont gardés de ce temps bien lointains et bien vagues. Cependant sa cousine germaine, Mme Bénard, née Demante, fille et sœur des jurisconsultes bien connus qui professèrent à la Faculté de droit, se rappelle encore un garçon sérieux et aimable, grave et affectueux, qui tenait une grande place dans le petit monde d’enfants groupés autour de la grand’mère Demante. C’était Évariste qui, dans les fêtes de famille, en digne fils de son père, composait les dialogues ou rimait les couplets à l’ancienne mode dont sa sœur, ses cousins et ses cousines régalaient la vieille dame. Je ne suis même pas bien sûr que quelques refrains de la façon de Galois ne rôdent pas encore dans la mémoire de Mme Bénard ; je n’ai pas osé insister pour obtenir de sa complaisance ces vers, qui n’ont sans doute aucun autre intérêt que celui de souvenirs intimes. Mais ce que Mme Bénard m’a dit très volontiers, c’est, en contraste avec la gaîté juvénile des années passées au Bourg-la-Reine, le vide laissé par le départ de Galois, lorsqu’il entra à Louis-le-Grand, et, bientôt après, le changement

  1. La plupart de ces renseignements sur le père et la mère de Galois m’ont été fournis par sa famille, notamment par M. Gabriel Demante.