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Quand les voix claires des enfants s’étaient tues, les hommes défilaient devant le drapeau et le baisaient avant de remonter. Les geôliers pouvaient alors fermer les chambrées, chacun avait emporté dans son cœur une émotion qui l’élevait au-dessus de lui-même, et effaçait ou faisait oublier jusqu’au lendemain les misères et les hontes de la prison. Ce devait être pour Galois un énergique stimulant moral, en harmonie avec l’enthousiasme naturel de son âme, avec ce penchant au sacrifice de soi-même qui n’est jamais plus fort que vers la vingtième année, et qui l’était chez lui à un si haut degré.

Un soir, la scène grandiose eut une fin terrible pour lui. Il était à peine arrivé depuis une semaine à Sainte-Pélagie, lorsqu’on y célébra par une messe solennelle l’anniversaire des journées de Juillet. Les prisonniers, s’emparant du catafalque qui avait été dressé dans la chapelle, le transportèrent dans leur cour, et le 27, le 28 et le 29, firent devant lui la cérémonie du drapeau. Le 29, ils étaient depuis quelques instants rentrés dans leurs chambrées, lorsqu’un coup de feu, parti d’une mansarde de la rue du Puits-de-l’Ermite, en face de la prison, blessa de quelques grains de plomb un prisonnier dans la chambrée de Galois. Aux cris de ses camarades les guichetiers accoururent, et redescendirent avec le blessé et deux ou trois de ses compagnons qui voulaient témoigner devant le directeur de la prison. Galois en était. Avec le flegme méprisant qu’il affectait souvent lorsqu’il était ému ou quand il parlait à des gens entre les mains desquels il se sentait, il accusa du coup de feu un porte-clefs de la prison, qui demeurait en effet en face. Peut-être ajouta-t-il quelque froide insulte à l’adresse du directeur, comme il en avait eu à l’adresse de ses juges dans son premier procès ; toujours est-il qu’il fut immédiatement mis au cachot. Lorsque les prisonniers l’apprirent le lendemain matin, ils se révoltèrent, et avec l’aide des mômes se rendirent maîtres de la prison jusqu’au soir : il fallut bloquer Sainte-Pélagie avec de la troupe et, pour ramener l’ordre sans effusion de sang, promettre que Galois serait retiré de son cachot. La seule punition fut le départ des enfants.

Au moment où se passa cette scène, Galois n’était pas encore connu du personnel de la prison : c’était avant tout l’homme qui voulait tuer Louis-Philippe. On s’aperçut sans doute à la longue de ce qu’il était réellement et de ce qu’il valait, car, au moment où le choléra de 1832