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LUCILE, g 45


J'allais, pour répondre à la confiance d'Anselme, lui faire part de mes soupçons, Lirsque plusieurs détonalions d'armes à feu, bientôt suivies de cris, relentirent non loin de nous, dans le bois de la Heureuserie : c'étaient Les républicains qui nous attaquaient à l'improviste!

— Vrai Dieu ! me dit Anselme, je parierais ma tête contre un diner que Lucile et Kernoc ne sont pas étrangers à celle surprise el à ces coups de fusil.

Les chouans, quoique pris à l'improviste, ne perdirent nullement leur sang-froid. Francœur, c'est une justice que je me plais à lui rendre, car elle lui est bien due, se montra

la hauteur de la responsabilité que faisait peser sur lui le commandement, F

Se mallipliant avec une activité qui tenait du prodige, il semblait être.en même temps parlout où le danger se mon- trait le plus grand. Les chouans, d’abord vivement pressés et attaqués, ne tardèrent pas à prendre l'offensive, el lorsque, deux heures plus tard, le soleil vint éclairer celte scène de carnage, les bleus fuyaient dans toutes les directions,

Les chouans de Francœur, s’élançant à leur poursuite, en tuërent un nombre considérable.

Quant à moi, fidèle à la ligne de neutralité que je m'étais tracée, je restai, pendant tout le temps que dura le combat, sans prendre part à Paction, mais non pas sans éprouver une vive inquiétude. En effet, si lesort eût favorisé les bleus, mes anciens compagnons d'armes, et que je fusse tombé, ce qui était fort probable, entre leurs mains, il est incontestable qu'ils m'auraient fusillé comme traître et déserieur, sans au- cune forme de procès.

A celte crainte qui m'était toute personnelle se joignait l'inquiétude que me causait la présence d’Anselme au feu, Aussi poussai-je un cri de joie, lorsque j'aperçus, vers les sept heures du matin, mon excellent ami se dirigeant, sain et sauf, du côlé où je me trouvais. Dès qu'il w’eut aperçu, il accourut vers moi.

— Ah! cher ami, me dit-il; combien ‘je regrette Que tes opinions républicaines ne L'aïent pas permis de prendre part à notre divertissement. Je mé suis tellement amusé que je n'ai pas encure songé à déjeuner ! Et Lucile ! l’as-tu vue ?

— Pas encore. Je lavouerai même que je crains, depuis ta confidence, de me retrouver avec elle: je ne saurais quelle contenance tenir. ,

Anselme garda un moment le silence, et parut réfléchir profondément avant de me répondre.

— Cher ami, me dit-il enfin, lu sais que je ne suis pas ce-qu'on appelle un garçon pusillanime : éh bien! si tu lais- ses deviner à Lucile que j'ai parlé, je sens que je ne goûte. raï plus ua moment de repos. Garde-moi done le secret, je Len conjure.

— Quoi! Anselme, crois-tu donc...

— Depuis que je ne crois plus à rien, je crois à tout. Je crains celte Lucile; oui, c’est le mot, je crains cette Lucile à l'égal d’une vipère: Je suis un garçon à qui la force n’im= pose guère, mais qui se sent mal à l'aise devant la ruse et l'hypocrisie. Tu me garderas le secret sur mon indiscrélion, n'est-ce pas, tu me le promets?

— Vraiment, Anselme, je ne te reconnais plus! tu n'es

plus loil Au resle, rassure-loi, je serai muet comme Ja tombe.

« — Merci! ma était temps que nous. convenions de pos faits et gesles, Car voici justement Lucile, donnant le bras à Francœæur, qui se dirige de notre côté, Allons, prends vile un air souriant el aimable !

Anselme achevait à peine de prononcer ces paroles, lors- que Lucile nous accosta,

— Je suis heureuse de vous revoir sain et sauf, mon bon mi, dit-elle en souriant d’une charmante façon à Anselme, L'iifure a été rude, mais nous ne pouvions raisonnablement têre baltus.… Francœur était avec nous.



Ce compliment, qui acquérait un grand prix par la façon dont il élait dit, me parut causer un vit plaisir à Francœur, qui répondit en s’inclinant :

— Madame, je n'ai fait que mon devoir, et votre pré- sence parmi nous me le rendait bien facile! Mes gars savaient que nous avions à défendre le bon génie de M. Jac= ques, et î se seraient lous fait massacrer plutôt que de re- euler d'un pas!

— Comment donc: se fait-il, monsieur, demandai-je à Francœur, que les républicains vous aient attaqués ? Si j'ai borne mémoire, vous me disiez hier soir qu'ils ignoraient la position que vous occupiez, et qu'il n'y avait aucun acte d'agression à craindre de leur part.

— Ma foi, j'ignore encore comment cela a pu se faire, Il faut qu’il y ait eu trahison!

— Eh bien! en ce cas, d'où pensez-vous que soit partie cette (rahison ?

— Je l'ignare! Je ne suis pas même certain qu'il y ait eu trahison.

— Cela est en effet étrange!

— Mais je ne vois, au contraire, rien que de très-nalurel à ce qui eslarrivé, dit Lucile : une colonne expéditionnaire qui aura changé de route explique parfaitement ce fait.

— Oui, vous avez raison, répondis-je.en voyant les yeux de la jeune femme fixés sur moi et en me rappelant la re- commandalion d'Anselme. L’essentiel, c’est que la vicloire se soit déclarée en notre faveur.

Pendant les deux jours que je restai avec Francœur, jene vis que rarement Lucile,

Le deuxième jour au soir, Francœur vint nous avertir de nous préparer à continuer notre voyage. Ces apprèts ne fu- reut pas longs, Nous visilmes nos armes el nous soupàmes du mieux que nous pûmes,

— M'est-il permis de vous demander, madame, où nous allons? dis-je à Lucile lorsque je me tetrouvai seul avec elle.

— Il paraît que mes interminables voyages el ma compa= guie commencent à vous peser, me répondit-elle d'un air dédaigneux ; rassurez-vous, vous serez bientôt débarrassé de ma présence |

— Ah! madame, pourriez-vous croire

— Je n'aime pas les mensonges et je méprise les men- teurs, me dit-elle en m'interrompant : n’insistez donc pas sur vos prétendus regrels, Quant à volre question, je vous répondrai que nous nous rendons au château de la Jupellière, où M. Jacques m'a donné rendez-vous. a

Le château de le Jupellière, qui n’était, à proprement parler, qu’une grande ferme, ne devait sans doute son titre de château qu'aux deux tourelles dont il était flanqué, et au fossé surmonté, dans loute sa longueur, d'un mur en pierre qui le défendait,

Lorsque nous arriyämes, nous v trouvâmes une nombreuse Compagnie, ou, pour être plus: exact, une nombreuse réu- nion, car il renfermail plus de quarante chouans accourus à l'ordre de M. Jacques,

La châtelaine de la Jupelliére, vieille dame âgée d'environ soixante ans, était une marquise qui n’avait pas voulu émi- grer et qui, grâce à l'attachement et à la fidélité de ses an ciens vassaux, avait pu traverser sans encombre l'orage ré- volutionnaire,

Quoique celte dame éprouvât, ainsi que nous l'apprirent les premiers mols qu’elle prononça, une admiration sans bornes pour M. Jacques, elle accueillit cependant avec assez de froïdeur Lucile, dont la position non déterminée vis-h-vis quire mystérieux, ne lui paraissait sans doute pas conve- nable.

Le surlendemain de notre arrivée, il pouvait être alors une heure de l'après-midi, lorsqu'un paysan, les vêtements en lambeaux, le front humide de sueur et la respiration op-