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LUCILE, * 43


Au reste, jee remarqué déjà depuis assez longtemps que notre séduisante compagne de voyage payuit aux dépens des qualités.du cœur le courage viril qu’elle possédait. Cette


découverte avail'même de beaucoup diminué wa chaleureuse +

amitié pour elle.

Lorsque le lugubre cortége fut à quelques pas de nous, Coquereau, désignant à ses chouans par un signe de tête une pelile prairie située sur la gauche de la route, s'écria d’une voix tonnante et qui retentit à mes oreilles comme ün glas de mort : C

— Mes amis, l'heure de la vengeance. est venue, Exter- minons les assassins de Saint-Laurent.

A peine ces paroles étaient-elles prononcées, que les chouans poussèrent leurs victimes dans la prairie; le car- nage commença.

Alors, spectacle émouvant et terrible, les femmes et les filles des malheureux condamués à mort s’élancèrent entre eux et leurs bourreaux, et leur firent un rempart de leurs corps en criant grâce et miséricorde. *

— «En arrière les femmes! répétait Coquerea, en les «écartant de devant les condamnés! C’est la justice du bon « Dieu qui pes ils nous oh maryrisés nous et les nôtres «pendant deux ans... »

Une femme, nommée Marie Châlelain, — ainsi que je l'ap- pris plus tard, — sourde à la voix de l'implacable Coque- reau, se jeta dans les bras d'un des habitants de Saint-Lau-

+ rent qui déjà avail reçu un coup de baïonnette à l'épaule, et fut elle-même grièvement blessée,

À celle vue, ses compagnes, renonçant à obtenir une grâce impossible, fermèrent les yeux et se bouchèrent les oreilles, ou prirent la fuite.

Une demi-heure plus tard, — car, pour rester toujours impartial, je dois convenir que dans celte abominable exé- culion, justifiée peul-être par les excès des habitants de Saint-Laurent, les chouans de Coquereau sé montrèrent d’une férocité inouïe, — une: demi-heure: plus tard, dis-je, il ne restait plus de tous-les homines du bourg que cinq vieillards épargnés à cause de leur grand âge.


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Deux jours après le sanglant épisode que je viens de rap-

puens uous arrivames, vers la tombée de la nuit, à l'entrée |

lu bois de la Heureuserie.

— Je pense, dis-je à Lucile, que nous, ferions sagement de chercher sans plus tarder, dans les envirogs, un gite pour la nuit; autrement, nous courons le risque de coucher à la belle étoile,

— Il nous faut, au contraire, accélérer le pas, me répon- dit-elle, nous sommes attendus dans le bois.

Il pouvait ÿlavoir uné détai-heure que’ nous étions entrés dans le‘bois, lorsque le cri d’up hibou retentit à nos oreil- les.

— Répondez ; Larochejaquelein et Mayenne, dit Lucile à Ansiliue, el ne ménagez pas YOS pOUONS.

La formidable voix de stentor de mos compagnon éclata aussitôt, semblable à un coup de canon,

Les.échos du bois de la Heureuserie vibraient encore, lorsque nous viwes apparaître à quelques pas de nous une troupe d'homnes armés. Lucile s'avança de suite à leur ren- contre : nous la suivies,

Ah! vous voici, Francœur, dit-elle en s'adressant à un des nouveaux-Venus, je suis bien heureuse de vaus revoir, Et lui, pourquoi est-il pas venu à ma rencontre? Il était cependant prévenu de mon arrivée, ajouta vivement Lucile après un court silence,

— Il m'a envoyé à sa place, madame, pour vous avertir


qu'une affaire de la dernière importance le retiendrait en- core un jour ou deux absent.

— El savez-vous quelle est cette affaire ? Oh! ne craignez rien, vous ponvez parler devant ces messieurs, dit Lucile en nous désignant, Anselme et moi, par un signe de lèle : ce sont des amis sûrs el dévonés qui m'ont escorlée pendant tout mon voyage.

— Je regrette de ne pouvoir, madame, répondre à votre question, Vous n'ignorez pas du reste que pérsobnie au monde ne sait jamais ce qu’il fait!

— Vous avez raison! J'oubliais, dans mon impatience de le revoir, que l’on ne doit jamais chercher à connaître ses actions. Il ne peut se tromper et ce qu'il fait est toujours bien fait, n'est-ce pas, Francœur ?

— Oui, madame, toujours, répondit avec conviction celui que Lucile appelait Francœur ; mais que complez-vous faire?

Es L'alleuire à Vous avez sans doule un abri à m'of- frir? 4

— Certainement, madame; et un refuge où vous ne cour- rez aucun danger, Au reste, les bleus, d'après les der rapports de’ nos espions, ignorent la présence de ma bande dans les bois de la Heureuserie.

— Tant mieux, car je commence à avoir besoïn d'un peu de repos. Marchez devant moi, Francœur, je vous suis!

— Quel est donc ce Francœur, madame? demaodai-je tout à bas à Lucile,

— C'est, me répondit-elle, le compagnon d'armes et le ri- val de gloire des flichel Menant, Gaullier, Tranche-Monta- gne, Lechandelier, Picot, Mousquelon, et de tant d’autres chefs de bandes qui combattent sinon tout à fait sous ses or- dres, au moins sous l'inspiration de M. Jacques; vous voyez que je suis ici en pays de connaissance.

— Vous êtes, madame, une reine en ses Etats!

Après une demi-heure de marche, nous arrivames devant une toute petile cabane grossièrement construite en plan- ches mal rabotlées, el encore munies, en plusieurs endroits, de léur éco

— Ceci a été construit d’après mes ordres dans l'attente de votre arrivée, dit Francœur à Lucile ; vous trouverez l'in- térieur garni d’un lit et de quelquesmeubles que je me suis procurés dans une ferme. Je regrette de n'avoir pas fait mieux,

— Comment donc, mais c'est lont bonnement un palais que vous m'offrez, répondit Lucile en riant,

— Quant à votre sécurité, madame, n'aytz, je vous le ré- pèle, aucune inquiétude. Les rapports dé nos, espions sont unanimes; nous n'avons à craindre aucune attaque cette nuit,

— Je vous crois; cependant, si par hasard j'ai jamais be- soin de vous, où vous trouverai-je?

— Ma bande entoure votre palais, répondit Francœur en souriant à son lour : ainsi si, contre toutes mes prévisions, il y avait quelque chose, de quélque côlé que vous allie, vous trouveriez des défenseurs et des’amisl

Le clief de bande, après cette réponse, nous emmene avec lui à son campement général.

Le poste, —-car la bande de Francœur était divisée en différents poses, — où nous arrivämes, contenait une lren- taine d'hommes. Mon arrivée et celle d'Anselme n'éveillè- rent la curiosité de personne. Francœur, que ses soklats Lraitaient avec une afféctueuse familiarité, nous apporta lui- même un morceau de pain el quelques fruits pour notre sou per : il nous apprit qu'il avait envoyé à Lucile, par la sœur de l'un de ses volantaires, le reste de ses proyisions, c'este a-dire un peu de viande froide et uné bouteille de vin,

— Ma foi, me dit Anselme, qui en deux bouchées avait terminé son trop frugal repas, je ne suis pas fâché d'arriver au terme de notre voyage, J'aime M. Jacques de tout mon cœur depuis qu'il m'a sauvé la vie ; mais, é par fran- chement et entre nous, sa madame Lucile commençait, avec