Page:Duplessis - Les Étapes d'un volontaire, 5, 1866.djvu/43

Cette page n’a pas encore été corrigée

LUGILE. M


gne lut celte missive qui lui parvenait d'une si étrange façon sans qu'aucune expression d'élonnement, de colère ou de plaisir se peignit sur son visage; puis, haussant les épaules d'un air de pitié, elle continua de marcher, sans nous faire part du contenu de ce billet, sans nous dire de quelle per- sonne il provenait.

Comme nous savions, Anselme et moï, que notre compa- gne de voyage élait chargée d'une mission politique et qu'elle possédait des intelligences dans le pays, nous n'atta- châmes aucune importance à ce fait, et voyant qu'elle ne nous en parlait pas, nous crûmes de bon goût de ne point l'interroger.

Le lendemein nous venions, après avoir couché dans une ferme isolée, de nous remettre en route, lorsqu'un papier que j'aperçus à moitié enseveli dans l'herbe, à mes pieds, appela mon attention. Je ramassai ce papier et je lus ce qui suit : « J'arriverai, ma chère amie et complice, en mème temps que toi. Je Le suis à la piste. Fie-toi à ma prudence, el tâche de ne plus perdre une autre fois ton sang-froïd.» Ge billet, signé d'une simple iniliale, d’un V, me causa une impression extraordinaire. Une horrible pensée me traversa l'esprit, je me figurai qu'il était le même que celui remis la veille par le jeune pâtre à Lucile. Toutefois un moment de réflexion suflit pour chasser bien loin de moi celte ridicule supposition, et ce ne fut pas sans éprouver un remords de conscience que je revis ma compagne de voyage.

Accuser le bon génie de M. Jacques de trahison! vraiment il fallait que j'eusse été victime d’un accès momentané de folie.

— Madame, dis-je à Lucile en lui remettant le billet ou- vert et empreint encore de rosée, voici ce que je viens de trouver tout à l'heure dans l'herbe en marchant derrière vous!

Lucile jeta un coup d'œil indifférent sur le billet que je Jui présentais.

— Qu'est-ce que c’est? me dit-elle d'un ton distrait,

— Une énigme de traliison,


— Eh bien! voyons, lisez-nous ce billet !

J'obéis aussitôt. Lucile m'écouta avec altenlion.

—— Je partage votre opinion, me dit-elle; il y a de la trahi- son là-dessous. Au reste, je ne serais pas étonnée que l’au- teur de ce billet me fût connu. J'ai reçu moi-même hier un avis qui m'explique à peu près votre trouvaille.

Si des soupçons absurdes m’élaient restés dans l'esprit, le calme parfait de Lucile, lorsque je lui montrai le papier ac- cusateur, et la façon naturelle dont elle me répondit eussent cent fois sufli pour le dissiper.

Cet incident n'eut done pas pour le moment de suites.

Notre entrée dans la Mayenne nous rendit témoins d'une scène épouvantable et dont le souvenir m'est encore pénible aujourd'hui. Nous étions à une lieue du bourg de Saint- Laurent-des-Mortiers, et je consuliais une carte du départe- ment de la Mayenne pour savoir de quellefagon nous pourrions éviter de traverser ce bourg, dont les habitants, féroces ré- volutionnaires, jouissaient d’une réputation de cruauté trop bien méritée, lorsque nous vimes passer, non loin des taillis où nous nous tenious cachés, un paysan, qu'à sa cocarde blanche placée sur son chapeau, nous reconnûmes pour un royaliste. Anselme et moi, sortant de notre cachelle, nous nous présentâmes devant lui.

Le paysan, quoique surpris par notre apparition inatten- due, ne perdit nullement la tête. Il arma vivement son fusil et se plaçant derrière un arbre

— N'avancez pas, nous cria-t-il, on je tire sur vous.

— Je te ferai observer, mon ami, lui dit Anselme, que ta menace s'adresse fort mal; d'abord parce qu'il nous serait fort facile de l'altaquer à la fois de deux côtés opposés et par conséquent de façon que tu ne puisses le défendre, en- suite parce que nous sommes d'aussi bons royalistes que Loi !

— Vous, des royalistes ! répéla le paysan avec méfiance. Ça ne me purail guère probable,

— Et pourquoi donc cela?

— Parce que si vous étiez des royalistes, vous ne vous trouveriez pas à une aussi faible distance de Saint-Laurent des-Mortiers !