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LUCILE.

vâmes dans la forêt où Bois-Mardy avait établi pour le mo- ment son quartier général, Nous trouvämes Lucile sur pied, el attendant notre relaur avec impatience, 2

-Je m'empressai de lui raconter en peu de mots le succès de notre expédition. L'invention des faux chouans l'indigna vivement, el elle approuva les Bretons de les avoir punis avec une rigueur, pour ne pas dire une cruaulé, qui devait servir d'exemple,

— Mais voilà, mon cher compagnon, ajouta-t-elle, une journée de perdue pour nolre voyage : si vos forces ne sont pe Lrop épuisées, je vous proposerai de repartir sans plus tarder.

Quoique Lucile eût accompagné ces paroles d’un de ces eux et jrrésistibles sourires dont elle avait le secret, si barassé, tellement sur les dents, que je refus: J'espérais en être quitte par cet acle de courage ; mais Lucile insista avec une telle ténacité, que je dus enfin, quoi- que son désir fût aussi insensé qu'égoïste, me rendre à ce qu'elle voulait, à =

Anselme, non moins os que je l’étais, voulut à son tour hasarder quelques limides observations, mais Lucile lui coipa impérieusement la parole dès les premiers mots qu'il prononça.

Bois-Hardy, voyant linutililé de nos eforts, ne jugea pas convenable sans doute de joindre ses prières nôtres, et il se contenta d'exprimer le regret de ne pas conserver plus longtemps la compagne de M, Jacques,

— Toutefois, madame, ajouta-lil, comme votre départ west pas, du moins j'aime à l'espérer pour ma pauvre hos- pilalité, une véritable fuite, vous voudrez bien m’accorder une heure pour aie je puisse vous fournir une escorte,

Cette offre était trop gracieuse et trop raisonnable pour que Lucile püt la refuser : toutefois, je compris à la façon pleine de froideur, presque dure dont elle remercia Dois- Hardy, que ce retard la contr:

—N'ètes-vous pas curieuse non plus, madame, de voir le prisonnier Kernoc ? lai dit-il. Je l'ai envoyé chercher,

— Non, monsieur, je vous remercie, répondit sèchement Lucile, je ne tiens nullement à me trouver en présence de cel assassin, dont j'ai mañqué moi-même d'être la victime | Votre galanterie peut être bretonne, mais à coup sûr elle n'est pas de bon goût!

Celle réponse inconvenante, surprit d'autant plus, que j'av: qu'à ce jour l'inallérable 6g: caracière de Lucile

— Ma foi, madame, lui répondit Bois-Hardy avec un dé- pi visible, je ne croyais pas que la compagne de M, Jacques aussi nerveuse el aussi impressionnable que vous l'êtes !

donc les yeux si la vue d'un bandit vous fuit peur, car voici mes gars qui entrent avec notre prisonnier,

En effet, Boïs-Hardy achevail à peine celte phrase, lorsque Kernoc, les mains lives derrière Le dos et gardé par quatre chouans, fit entrée dans la cabane construite en bran- chages dont déjà parlé et où nous nous tepions en ce moment.

Kernoc avait la tête penchée sur la poitrine et l'air abattn. En entrant dans la cabane il leva les yeux, et la première personne que son regard rencontra fut Lucile, qui, droite ct immobile devant lui, ressemblait par sa Pâleur à une statue de marbre,

À la vue de la jeune femme, Kernoc poussa une exclama= tion de profonde surprise ; puis, d’une voix étouflée =

- Quoi ! malheureuse Justine, toi aussi tu es prisonnièr lui dit-il en la regardant avec des veux elTarés.

de n'ai pas besoin d’insister sur la stupéfaction inoute que Casa à tous les témoins de celle scène, mnis particulière- ment à Anseline el à xclamation de Kernoc,

Au reste, Lucile ne laissa pas longtemps notre enriosité en suspens.

— Que me voulez-vous, misérable assassin ? s'écri en regardant Kernoc avec une indignation indicible ; aï-ji donc le molhenr de ressembler à une femme de votre con- naissance?


, qui fit rougir Bois-Hardy, me is élé à même d'admirer jus= té d'humeur ef le charmant


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— Ah! pardon, madame! Oui, en effet, je commets ane erreur, répondit Kernoc. Mai st que celie ressemblance est véritablement si extraordinaire. Pourtant à présent, je m'aperçois que vous avez les yeux bleus, tandis que Justine a les siens du plus beau noir. Je vous demande bien pardon de cette erreur,

— Voilà assez de paroles à ce sujet, et je ne tiens pas à être comparée plus longtemps avec les créatures de votre connaissance, inferrompit Lucile avec hauteur, Puis se re- tournant vers Bois-Hardy :

— Faites éloigner, monsieur, je vous priè, lui dit-elle, cet homme dont la présence me rappelle de si sanglants et de si affreux souvenirs.

— Qu'il soit fai ainsi que vous le désirez, madame, ré poudit Bois-Hardy; j'interrogerai ce misérable après votre départ,

ui Après mon départ! Tout à l'heure vous vouliez me garder à lout prix, el voilà que maintenant vous me chassi

— Vous chasser! moi, madame ! Ë

— Ne faites pas attention à ce que je dis! La présence de cet assassin m'a loule bouleversée ; il m'a semblé, en le voyant apparaître, entendre les cris de Mathurin et de Jeanne, qu'il a égorgés à mes côlés. Réellement je me sens loute souffrante, el pour un rien je renoncerais au projet de me remettre de suile en route! Oui, si cela ne vous d geait pas, monsieur de Dois-Hardy, je vous demande m'accorder encore pour celle nuit l'hospitalité, mais cela vous dérangerait peut-être? ajouta Lucile en accompagnant celte interrogation d’un de ces charmants sourires dont j'ai déjà parlé,

La réponse de Bois-Hardy se devine. À mon grand con-

tentement et à celui non moins vif d'Anselme, il fut couv: que Lucile ne se remettrail eu route que le lendemain, c' à-dire une fois remise de son émolion * e heure plus tard les chouans de Bois ème dormañent tous, grâce à la fatigue de la journée, d'un somieil profond, Comme on n 1 craindre auc p= prise des troupes républicaines, surveillées par des espions, on ne plaça pas de sentinelles.

On se contenta seulement de lier solid ment à un arbre, de façon qu'il n'eût pas la liberté de faire le moindre, mouvement, le condamné Kernoc : deux chouan se couchèrent à ses côlés $

Le lendemain malin, lorsque je me réveillai, je trouvai les gars de Bois-Hardy en proie à une colère violente et à un étonnement sans nom

Le faux chouan s'él dé pendant la nuit,

La disparition si inexplicable de Kernoc produisit une impression extraordivaire sur les chouans : Bois-Hardy lui même cn fut alterré.

Quant à Lucile, elle éprouva de ce mystérieux événement un désespoir réel el que rien ne motivai

— Que vous importe, madame, lui dis-je pour la consoler, que ce scélérat soit libre ou fusillé? On croirait, à yons y el à vous entendre, que sa fuite copslilue pour vous un-mal- heur irréparable ! Vraiment, permettez-moi de vous faire cet aveu : depuis hier, je ne reconnais plus en vons cette ferme admirable de sang-froid et d'héroïsme qui, vingt fois, a re- levé nos esprits abattus €t nats à foujours donné dans le danger l'exemple de la plus sublime résignation unie au plus rare Courage !

— Vous avez raison, en effel me répondit-elle, mais’ n'oubliez pas que chez nous antres femmes les nerfs et l'imagination jouent nn grand rôle et que l'on doit nous pardonner ile manquer parfois de logique! Oui, je reconnais combien mes eraiales el ma douleur sont ridicules et dénuées de fondement! Que voulez-vons ! j'é- prouve le pressentiment ncible que ce Kernoe doit pe- ser douloureusement sur ma vie et mètre fatal, et j'ai peur!

Lucile reconnaissait si franchement que ses craintes ne É ient sur aucun motif raisonnable el sérieux qu'elle cusable de les éprouver, que ja dus renoncer à les

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