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vos expressions, répondit le prétendu Kernoc avec impu= dence, sont d'honnèles galériens échappés du bagne,

Ces paroles soulevèrent un cri de rage et d’indignation parmi nos chouans, et le fils de Mathurin, s'avançant vers Bois-Hardy, lui dit : « Nous permettez-vous, monsieur, de fusiller comme nous l'entendrons, les assassins de mon père? »

— Gerles, mes gars, amusez-vous! Fusillez, pendez, égorgez, brülez ces misérables, peu m'importe le genre de mort que vous leur infligerez, pourvu que pas un seul n'en réchappe!

Les chouans s'emparèrent alors de leurs faux frères d'ar- mes et les garrottéreut solidement : quant au fils du fermier

ethurin, À prit Kernoc par le collet, en Jui disant : « C'est sur Loi que je veux venger Ia mort de mon père!

dusqu'alors le chef des incendiaires avait une assez bonne contenance, mais lorsque le fils de Maihurin porta la main sur lui, il pâlit affreusement et se reculant vivement du côlé où se lenait Bois-Hardy

— Monsieur, dit-il d'une voix tremblante malgré les efforts qu'il faisait pour paraitre calme, je ne erains pas la mort, mais j'ai besoin de vivre encore quelques jours; un grave el pieux intérêt me relient à la terre. Si vous consel tez à différer mon supplice d'une semaine, je vous payer de celle complaisance par une révélation qui vous sera d’une immense utilité.

Bois-Hardy, froid et impassible, parnt ne prèter aucune attention à ces paroles, et le fils de Mathurin s'avança de nouveau pour se saisir du prétendu Kernoc. Alors ce der- nier, se jetant lâchement aux genoux devant le che breton, s'écria d'une voix à peine intelligible :

— Accordez-moi seulement deux jours de répit, Bois- Hardy, et je vais tout vous révéler.

Bois-Hardy fit signe au fils de Mathurin de s'éloigner, et Jaïssant tomber un regard empreint d'un souverain mépris sur le bandit prosterné devant lui :

— De quelle nature est ta révélation, et quel p: me rends à ta pri roi?

— Un parti immense, celui de dévoiler à la France en- tière une abominable trame ourdie contre les royalistes, afin de les déshonorer.

— Parle, dit Bois-Hardy après avoir réfléchi pendant an moment.

— Alors, vous acceptez le marché que je vous propose?

— Un marché avec toi, misérable! s'écria le terrible chef breton avec une indignalion profonde, Te figures-tu donc que nous puissions trailer sur le pied de l'égalité? Si tes révélations me paraissent utiles, je daignerai L'accorder le répit de quarante-huit heures que tu me demandes... si- non. je te livre au fils de Mathurin! Vois si tu veux oui où non parler sans condilion aucune.

— J'ai foi en voire générosité et en votre parole, répondit précipilamment le prétendu Kernoc. Je sais que si Bois Hardy passe pour être d'une implacable sévérité, tout le monde est d'accord sur son impartialité et sa justice. at Voilà bien des paroles et des flatteries inutiles. Au

fil!

— Eh bien! apprends, Bois-Hardy, que les républicains montagnards, afin de perdre les chouans dans l'esprit des populations des villes et des habitants des cam: agnes, ont créé eux-mêmes de faux chouans, à qui ils ont donné pour mission d’égorger, d’incendier, de voler. Tu vois en moi le chef d’une de ces horribles bandes, et je dis horrible, car, depuis que je me sais condamné à mort, mon passé m'ap- parait dans toule son infamie, et j'ai peur du jugement de Dieu! Tous les bandits qui n'accompagnent sont des galé- riens que l'on a tirés du bagne pour leur faire jouer le rôle de faux chouans! Te dire à présent, — car à quoi bon men- ür quand on a déja un pied dans la tombe quelques heures vous séparent à peine de l'éternité, — te dire à pré- sent les crimes que nous avons commis me serait chose im possible. Une journée entière ne me suffirait pas. Ton ima-


rli, si je pourrai-je en tirer pour la cause du


gination peut donc, sans craindre d'outrepasser la vérité, Supposer lous les plus abominables forfaits !

Les aveux du prétendu Kernoc causèrent aux chouans de Boïs-Hardy, ainsi que le lecteur doit le supposer, une s prise el une indignation indicibles. Quant à ce dernier, je compris à un sourire joyeux qui efleura ses lèvres, le prix qu'il attachait à ces révélations.

— Eh bien, mes gars, que pensez-vous de la perfdie des bleus ! demanda-t-il à ses soldats, Ne pouvant nous vaincre par la boue, ils veulent nous tuer par la trabison, nous dés- honorer par la calomnie! Que chacun de vous répèle à ses parents el à ses amis, dans les châteaux et dans les villes même les jours de marché, l'aveu que ce misérable vient de nous faire. Que la vérité soit connue de laut le monde; que chacun sache que nous combattons, non pour nos inté- rt ais pour la cause du roi et de l'humanité onnement causé aux Bretons par la monstrueuse in- vention des faux chouans ne fut pas plus grand que la co. lère qu'éprouverent les bandits de Kernoc en se voyant trahis ainsi par leur chef : oubliant un moment la mort qui les attendait, ils accablérent d'insultes et d'imprécations le révélateur; mais ce dernier resta complètement insensible à leurs injures.

— À quoi bon perdre mon temps à vous répondre! leur dit-il froidement, dans une demi-heure vous aurez reçu le châtiment dû à vos crimes el emporté le secret de ce que vous appelez ma trahison dans la tombe!

S’adressant alors à Bois-Hardy, Kernoc ajouta :

— Estiniez-vous, monsieur, que le service que je suis assez heureux pour rendre à votre cause mérite Le répit de quarante-huit heures que je demande pour mon exécution ?

— Je ai qu'une parole, même pour les misérables tels que Loi, répondit le Breton, et je ne fais pas difficulté d’avouer que ta révélation est d’un grand intérêt pour moi. Seule- ment, je réfléchis à ceci, que, si tu te refuses à consigner dans un mémoire authentique, détaillé et signé de toi, tes monstrueux forfaits, les bleus m'accuseront de. mensonge lorsque je leur jeuterai à la face leur infamie ! T'engages-tu à me donner par écrit, si je Le laisse vivre jusqu'après-de- main, le récit que je te demande ?

— Je m'y engage, répondit Kernoc sans hésiter,

— Soil. Alors, il le reste encore quarante-huit heures pour L'occuper de Les affaires. A présent, vous autres, con- lioua Bois-Hardy en s'adressant à ses gars, fusillez-moi de la bonne sorte ces misérables.

— C'est-à-dire comme on doit fusiller des traîtres, s'écria le fils de Mathurin, dens le dos.

— El lout doucement, ajouta un autre chouan.

— Moi, dit un troisième, j'aimerais mieux qu'on les pen- dit par les pieds, afin que üous les ürions à la cible, ça se- rait plus amusant,

Faites comme bon vous l'entendrez, mes gars, s’écria Bois-Ilardy, seulement dépêchez-vous, car il faut que nous repartions, Je vous donne une heure,

— Rien que ça! dit un chouan d’un ton de regret. Enën, n'importe, on fera de son mieux pour bien employer son temps.

mois co sanglante de l'exécution des faux chouans, car elle fut atroce et elle révolterait le lecteur.

Toutefois, je dois faire remarquer, pour obéir à l'impar= tialité, que les Brelons étaient on ne peut plus dans leur droit, au point de vue de la stricte justice, en imposant à ces horribles bandits la peine du talion.

A présent, comme on pourrait m'accuser d’avoir, pour créer un épisode dramatique, inventé l'existence des faux chouans, je demanderai la permission de citer quelques au- torilés incontestables à l'appui du fait dont j'ai été témoin, et que je viens de rapporter, Ce ne fat, au reste, que bien plus tard que les documents suivants me Lombèrent sous la main.

Le premier est une dépêche du général Rossignol au Co- mié du salut public :