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LUCIL]


A celte réponse bien digne du caractère d' Auselme, 1

ue j'eusse préféré ne pas lui entendre faire, je vis un écl se fureur passer dans les yeux de Bois-Hardy, tandis qu'un murmure plein d'indignatiun et de colère s'élevait du milieu du cerele formé par les chouuns. : <

— Silence, les gars ! s'écria Bois-Hardy d’une voix calme et ferme; à quoi bon vous metre en colere? Vous figurez- vous donc que je ne liens pas à votre honneur, que je vous laisserai insulter sans Vous venger, Cet homme est en notre pouvoir, el aucune puissance humaine ne pourrait le tirer de nos mains. Laissez-le douc s'expliquer à son aise, nous verrons après... »

©, — Ah! madame, dit Anselme en adressant un regard de doux reproche à Lucile, qui, immobile et la contenance assurée, conlemplail celle scène avec ce même sang-froid que je ne lui avais jumais encore vu perdre, même dans les circonstances les plus critiques. Ah! madame, Pourquoi m'avez-vous ordonné de livrer mes armes à ces bandits ? ils vont sbuser de ma générosité ! Quel malheur de n'avoir pas seulement conservé mon sabre lil y aurait eu une si belle bataille,

Lucile, pour toute réponse, se mit à sourire d’un air dou- cement moqueur, et fit signe à Anselne de répondre à Bois- Hardy qui reprenail la parole,

— Qui êtes-vous? demanda le chef breton, en s'adressant à mon compagnon et à moi.

— Des royalistes qui combattent pour Dieu et pour le roi, et non des voleurs et des assassins comme vous! s'écria Anseln

Bois-Hardy, sans paraître ressentir la moindre émotion de celte insulle nouvelle, poursuivit tranquillement son interro- galoire :

— Gomment se fait-il que vous vous soyez trouvés à celle heure de la nuit sur la lisière de la forêt ? D'où venez-vous ? ù vous ?.. Prenez gurde de ne pas me mentir! I


où allez- vous serait impossible de me tromper,

— Il me semble, répondit Anselme, qui décidément se déclarail notre orateur, il.me semble que mon langage de- vrail vous inspirer quelque confiance, Je n'ai pas l'air, c'es une justice que vous pouvez me rendre, d'un flatieur, et je ne uic gêne guère pour dire les choses comme je les pense, Nous venons de Nantes, et vos bandits nous ont rencontrés à l'entrée de celte forêt, parce que la ferme où l’on nous avait accordé l'hospitalité cette nuit a été incendiée, il y à deux heures de cela à peine, par des chouans, et que nous avons dà prendre la fuite pour ne pas towber entre les mains de ces misérables coquins.

— Daus quelle ferine aviez-vous été reçus?

— J'ignore le nom de cette ferme, Tout ce que je sais, c'est qu'elle n'est guère éloigaée de Dinan de plus d'une lieué, et que le pauvre ferwier, si indignement assassiné par un détachement de vos bandits, sus doute, se nomait Ma- tburin et sa femme Jeanne,

Mon compagnon achevait à peine de prononcer ces paro- les, quaud un des chouans qui était assis près de Bois- lardy se leva en poussant un hurlement de rage et de douleur, puis s'élançant vers Auselme et le prenant à la gorge;

— Mon père a été assassiné ! ah! misérable, c’est Loi qui es le meurtrier! lu vas mourir, lui dit-il,

H fallut que mon ami, ainsi surpris, déployat toute Ja vi= gueur surbumaine dont il était doué pour se débarrasser de l'étreinte du Breton,

— Ouf! dit-il ea comprimant avec peine dans ses iains de fer les poignets du chouan, voilà un coquiu qui ne man- que pas de muscles, Il est presque fort,


vin

Les Bretons, en voyant leur camarade se jeler sur An. Fée, s'étaient levés et nous avaient entourés; il fallut que Bois-Hardy u àt di pour les contenir, {


de toute son autori ù

Sstiucoutéstable pour moi que, sas l'énergique iuterven-


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tion da cwlébre chef chouan, nous eussions Lous élé mas: crés à l'instant même,

— Mes gas, leur dit-il, vous êtes de bons enfants et je vous aime bien; seulement je dois vous avertir que je brû- lerai la cervelle au premier de vous qui menacera encore ces gens-là! A moi seul appartient le droit de les interroger el de disposer de leur sort. Vous devez bien penser que, si ce sont des espions ou des patauds, je n'ai pas besoin que vous m'exciliez pour obtenir qu'on les fusille.

— Si nous étions des espions, nous n’anrions pas manqué, au lieu de vous trailer de gredins, comme nous l'avons fait, de vous accabler de paroles flaiteuses et de protestations de dévouement, dit Anselme, Nous ne vous aurions pas laissé voir non plus horreur que nous cause l'abominable conduite de vos bandits,

Lucile, qui jusqu'alors ne s'était pas mêlée à toute cette discussion, ft signe à Anselme de se taire, et s'adressant à son tour à Bois-Hardy :

— Monsieur, lui dit-elle, j'aurais désiré garder un inco- que la nécessité d’une justification, car je comprends el j'approuve vos soupçons, me contraint à rompre. Peu de mots me suflront pour vous expliquer ma position et celle des deux généreux défenseurs qui i'accompagnent sans sa voir où je les conduis. Je suis, pardonnez-moi la prétention de ce litre, mais c'est cefui sous lequel on me désigne, je suis Le bon génie de M, Jacques dans la bataille et la Compa- gne de ses loisirs!

J'avoue que ces paroles, prononcées par Lucile avec em- phase et orgueil, me causèrent une surprise exlrème, non par leur sens qui, pour moi, était énigmatique, mais par l'effet prodigieux qu'elles produisirent tant sur Les chouans que sur Bois-Elardy lui-même. è

Le parlisan breton, s'inclinant alors devant la jeune femme avec une galanterie el un respect que sa brusquerie rendait plus saisissan(s encore, lui prit la main qu'il porta respec- lueusement à ses lèvres,

— Madame, lui dit-il, j'avais déjà, à la noblesse de votre visage el à la fierté de voire contenance, deviné en vous ane héroïne; mais j’élais loin de m'altendre à ce que ma bonne étoile conduirait sur ma route le génie du plus grand homme de guerre que la cause royaliste ait jamais produit! Veuillez, je ous en supplie, lorsque vous serez auprès de M. Jacques, assurer que Bois-Hardy, quoiqu'il ne l'ait jamais vu, lui est dévoué jusqu’à le mort, el qu’il s’estimera fier et heureux, si jamais le hasard les réunit, de combattre sous ses ordres!

Lucile accepta ce compliment, — de plus en plus énigma- Lique pour moi, car je n'avais jamais encore, jusqu'à ce jour, entendu parler de M. Jicques, —- comme ‘une chose {oule naturelle el qui lui était due : pourtant Bois-Hardy comptait à celle époque parmi les chefs les plus intelligents, les plus influents et les plus renommés de l'insurrection breloune,

Quant aux chowans, depuis que Lucile avait parlé de M. Jacques, ils contemplaient la jeune femme avec une admi- ration et un respect pour ainsi dire religieux : le fils de Ma thurin, le pauvre fermier assassiné, semblait avoir lui-même oublié et sa colère et sa douleur pour regarder de ses yeux démesurément ouverts notre cotipagne de voyage.

Ce fut Dois-Hardy qui le premier reprit la parole,

— Müdame, dit-il lentement à Lucile, pardonnez-moi vous en conjure, la demande que je vais vous adresser compagne d'un homme de guerre, vous devez comprendre et savoir mieux que toute autre à quelles Précaulions et à quels devoirs sont astreints les chefs.

— Je vous comprends, monsieur, répondit Lucile en sou- riant; vous vous méfiez de ma parole et ÿous désirez une preuve de mon identité,

Yon, madame, je ne me méfie pas de votre parole, ste, ce n'est pas pour mellre ma responsabilité à cou mais bien pour qu'en rendant compte de notre entre- vue à M, Jacques vous ne lui donniez pas uue mauyaise opi- uion de ma prudence,

— Vous ayez raison, monsieur ! Tenez, voici la dernière lettre que M, Jacques wa fait parvenir à Nantes, et qui a