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28 LUCILE,


à mes côtés, el se jetèrent sur moi, En moins de temps qu'il ne m'en faut ici pour constater le fait, nons fiunes, Cher- che-à-Manger et moi, jetés par lerre, puis solidement garrot- tés...

Fautil les fusiller? dit un des Vendéens en s'adressant

àses camarades, ou ne serait-il pas mieux de les larder à coups de baïonnettes ? :

—- La baïonnelle vaut mieux, répondit un autre brigand ; ça use pas de poudre.

— Oui, baïonnettons-les, reprirent les brigands en avan- gant sers nous leurs armes menaçani

— Tas de canailles ! vous ne pouvez me tuer qu'une senle fois, el moi j'ai massacré, de mes propres moins plus de quarante des vôtres, s'écria Cherche-à-Manger; vous voyez qu'en mourant l'avantage reste de mon côté. Allons, tapez ! Je me moque pas mal de vous. Vive la République !

Ce fut à ces paroles, qui étaient cependant bien faites our hâter notre supplice, que je dus mon salut. L'un des endéens, se jetant au-devant de ses compagnons, arrêta leurs bras déjà levés, en leur disant :

— Un moment, les amis. Je connais, moi, cet homme qui tire vanité d’avoir assassiné quarante des nôtres, C’est le

“fameux capitaine bleu Cherche-a-Mange:

— Le tueur de femmes et d'enfants? demanda un autre Vendéen.

— Le tueur de tout ce qui est, ou peut devenir roya- liste ! s'écria Cherche-à-Manger avec un courage on une lm- prudence qui me ft passer un frisson à travers le corps, Oui, brigands, j'ai immolé, je le déclare hautement, car je suis fier de cela, vos femmes et vos enfants, lorsque le ha- sard les a fait tomber entre mes mains! J'en ai, je vous le répète, massacré plus de quarante. Quant à ceux que, sur mon ordre, mes soldats ont passés au fil de l'épée, le nom- bre en est tellement considérable, qu'il ne m'est plus possi- ble de me le rappeler.

Ah! ah! continua Cherche-à-Manger en s’exaltant au sou- venir de ces cruautés, ah! ah! mon aveu vous étonne, Im guriez-vous done que je vous aurais demandé trop bien, qu'entre un républicain conne

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grâce? Je sa moi et des bandits comme vous la clémence ne peut trou place, Seulement, ce qui me comble de joie, à mes derui Moments, c'est, je vous le dis de nouvean, la peusée que, pour vous venger de tout le mal que je vous ai fail, vous ne pouvez me prendre qu'une fois la vi

— C'est malheureusement vrai ce que lu dis là, monstre affreux ! répondit le Vendéen qui avait arrêlé ses camarades au moment où ils allaient nous baionnelier. Mais tu oublies une chose, c'est qu'il y a mille moyens de tuer un homme. Je te prépare une mor! qui, par ses souffrances, vaudra dix fusillades ! Je suis curieux de savoir si lu te moqueras en- eore de nous tout à l'heure. Je ne le crois pas!

— Je me moquerai de vous jusqu’au dernier soupir, mi- sérables brigands! s'écria Cherche-à-Manser avec un re- doublement d'énergie, quoique en pälissant.

— C'est ce que nous verrons bientôt, dit le Vendéen, qui se retira un moment à l'écart avec ses camarades, el se mit à leur parler vivement à voix basse. ‘

— Capitaine, je vous en supplie, murmurai-je alors à l'o- reille de mon compagnon d'iufortune, modérez voire indi- guation. 17 Éd :

— Il est trop tard, me répondit-il ; oui, j'ai eu tort! je croyais que l'on allait me fusiller, et, comme depuis long- temps déja je m'attendais à cette formalité, je n'ai éprouvé aucune émotion ! Mille tonnerres !.… Penser que ces chiens- Jà vont me déchiqueter à belles dents, et que je ne mourr pas de la mort d’un soldat|. C'est à devenir fou, mille toi


nerres!.… Mille tonnerresf..… répéta Cherche-à-Manger d'une voi vant de rompre les lieus qui serraient ses eu tort de parler.

Si je ne mentionne pas les impressions que je ressentis en ce moment, c'est que le lecteur sait déjà, par la lecture de Ces mémoires, que j'eus l'incroyable bonheur d'échapper au supplice qui m'attendait ; au reste, ces impressions fur ai-je besoin de le déclarer, aussi afreuses ei pénibles qu’

est ë iner, La conférence des Vendéens ne dura guère plus de deux minutes ; ils revinrent aussitôt Vers NOUS.

— Voulez-vous, avant de mourir, voir un prêtre et vous confesser ? nous demandèrent-ils avec un ton de douceur implacable, s'il m'est permis de me servir de celle e sion, et qui montrait à quel point leur dessein était inébran- lable et arrêté.

— Que le diable torde le con à tous vos calolins! sé Cherche- langer ; si vous m'en envoyez un, je vous pré- viens que je l'agoniserai de soltises.

— Et toi? me demanda un Vendéen.

— Je vous serai reconnaissant de me procurer un prêtre. — Ma réponse, qui me parut produire un excellent effet sur les Vendéens, acheva d'exaspérer Cherche-à-Manger.

— Ah! tu donnes dans la caloite, toi, adjudant de mal- heur ! me dit-il en grinçant des dents. Tu es donc un agent de Pi et Cobourg, un sicaire de l'étranger, un poltron et un lâche ! Si j'étais libre de mes mouvements, tu recevrais un soufllet en pleine figure! Mais non 1... ce serait encore 1 d'honneur pour toi; je voudrais te cracher au visage.

Je me trouvais trop près de la mort pour que ces insultes

eussent prise sur moi : seulement, je ne pus m'empêcher de répondre froidement à Cherche-à-Manger : . — Capitaine, si vous éliez plus sûr, que vous ne l’êtes en ce moment, de votre courage, vous ne vous livreriez pas à de telles violences. On devine que vous désirez vous griser ou vous étourdir, à force de colère!

— Le fait est, me répondit-il en changeant subitement de ton, le fait est que je m'atiendais à être fusillé, et que cela me contrarie de servir de jouet à ces chiens de royalistes!

ILest incontestable pour moi que Gherche-à-Mang: brave en face de l'ennemi, sur un champ de bataille, man- qua tout à fait de courage à ses derniers moments.

— Allons, levez-vous, me dit poliment le Vendéen qui m'avait proposé de me faire assister par un prètre, el suivez- moi.

Je m'empressai d'obéir, et je me mis à marcher, surveillé par deux autres royalistes, derrière mon conducieur,

A peine ce dernier eut-i vingl pas, qu'il s'arrêta de- vant un gros arbre creux, à hauteur d'homme, el dans la cavité duquel il jeta une pelile pierre.

Au même instant, une trappe recouverte de gazon se leva devant moi, el ie montra un escalier grossièrement construit en terre.

— Descendez, me dit mon conducteur en riant de mon étonnement, M. le curé est dans la cachette.

Je ne me fis pas répéter cet ordre, car je conservois le vague espoir de désarmer, par ma douceur et ma docilité, la colère des brigands, et j résolu à faire Lout ce qui dépendrait de moi pour me mettre bien daus leurs bonnes grâces ; je pensais également qu'il était impossible, si j'avais le bonheur de parler à un prèlre, que le ministre de Dieu me laissat fusiller.

Après avoir franchi une dizaine de marches, j'atieignis le fon du souterrain. Deux torches résineuses éclairaient de leurs rouges rayons, en laremplissant de fumée, les cinquante à soixante pas carrés dont se composait celle cachette.

Une dizaine de soldats royalistes, à moitié couchés par terre et leurs fusils placés près d'eux, entouraient un ecclé- siastique qui, assis sur un es beau et revêtu de sa soutane, ie parut en train, lorsque j'arrivai, de réciter un sermon.

Ma présence ne causa aucune surprise aux habitants du souterrain, car tous restèrent dans leur même position et pas un seul n’attacha ses YEUX Sur moi ! Quand je dis pas un seul, je me trompe! Un d'eux, au contraire, se leva vive- ment en me voyant entrer et, s'élançant vers moi, me prit dans ses bras et m'embrassa avec trans] port.

oil ici! mon ami, s'écria celui que je prenais pour un Vendéen, je savais bien que nous devions nous revoir‘.

Comme mes yeux n'étaient pas encore habitués à la de: obseurité qui régnait dan: le souterrain; que j'étais, en qutre, fort ému de ma position, el que j'avais Élé surpris par la vivacité de l’homme qui S lait jeté à mon col, le lec-