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LUCILE.

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Notre joïe fat de courte durée; au moment où Cherche- nger se jelait, le subre à la main, sur son ennemi

celui-ci se releva, et d’une voix retentissante qui nt jusqu'à nous, malgré la distance : « Voici les biens ! til en se relournant du côté du camp; garde à vous ! »

Presque au même instant, le Vendéen, atteint en pleine poitrine par le sabre de notre capitaine, retomba lourde- ment sûr le sol. Hélas ! celté mort devenait inutile, car nous aperçèmes alors, sortant d’un buisson situé à cinq cents pas au moins de l'endroit où venail de se passer celle rapide scène de mort, un second Vendéen, qui prit son élan dans la direction de la Roullière ?

— Soldats ! s'écria le commandant de la colonne, accélé- rez le pas. Vive la République !

Une demi-heure plus tard nous alleignimes le camp, — alors livré à l'incendie, — mais il n’était plus temps! Une fusillade admirablement bien nourrie, qui partit de derrière les retranchements et jeta une vinglaiuc de nos hommes par terre, nous prouva que nous étions altendus 1

Dire ce qui se passa alors ne m'est pas possible, car il y a de ces impressions que l'on ne peut rendre avec l'aide d'une plume, de ces souvenirs qui floitent vivaces et terri- DE dans votre esprit, et que l'on est impuissant à formu-

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De toute cette scène de carnage, dans laquelle j'ai dù jouer mon rôle comme un autre, car j'avais pris le fusil d'un soldat tué à mes côlés, el je crois n'être pas resté au-des- sous de mon devoir, je ne me rappelle que le cri de « Sauve qui peut!» qui la termina, Ge cri, présent encore à ma mé- moire, me remua jusqu'au cœur; el fil tomber, comme par enchantement, la surexcitation produile, soit par l'odeur de la poudre, soit par l'animation @e-la lutterou la vue du sang qui m'avail soulenu jusqu'alors.

Obéissant à l'impulsion générale et suivant l'exemple que me donnaient mes camarades, je jetai mon fusil loin de moi, el pris la fuite. Cette fuite, dont je n'ai gardé qu'un souve- pir confus, nous coûla plus de monde que ne nous en avait enlevé la batille, Ce fut seulement en arrivausous les murs de Nantes. que nous/commençämes k pos recannailre, grâce au, canon de cette ville qui vint arrêter lu poursuite achar- née de l'ennemi. '

J'appris le lendemain que le chiffre de nas pertes s'éle- sail à quatre cents hommes el que nous avions eu affaire à Charetle lui-mêine, î

La perie du camp de la Roullière constituait non-seule- ment pour les armes de la République! une espèce de dés: honneur, mais elle apportait encore un embarras, En efTet, ce camp, à cheval, je l'ai déja dit, sur la route de Montaigu, représentait le grenier d'abondance de Nantes.

Gharelte, en le détruisant, réduisaitoetteville anne disette affreuse et ramenoit a tranquillité au sein du Bocage : e'élail donc, un coup de maitre qu'il avait frappé.

Le lendemain même de notre -déplorabie défaite, je [us gné pour accompagner un renfort de lroupes que lon dirigeail sur le camp de Freligné, contre lequel on eraignait que l'ennemi, exallé par son récenL succès, ne se porlät en forces: 1 5


juger à l'action, ais Loulé éonfince,

En effet le capitaine, avec sa prudence et son expérience consommées, nous fil parvenir sans'encowbre à notre desti- tivation, Le 43 septembre au matin, nous arrivûmes à Fre- digné, Le cump de Freligné, qui tirail san nam d'une cha- pelle bâtie sur une lande dans la paroisse de Falleren, était pue enire Challans el:Muchieval, deux villes découpées par es troupes républicaines, — el par conséquent à porlée de secours. Il étail, en outre, admirablement: bien fortifié et défendu. Sa forme présentait un grand carré hérissé de [or- midables palissades el entouré de fossés profonds. Le géné- ral Guillaume ÿ commandait, assisté du chef de brigade Prat el du lieutenant-colonel Mermet.


Au reste, ce qui défendait encore bien mieux le camp de Freligné que les palissades ec les fossés dont je viens de par- ler, c la bravoure éprouvée et éclatante des chefs, et la discipline remarquable des soldats qu'il renferinait : on n’y yoyail aucun garde national, aucune recrue,

— Je ne demande qu'uve chose au diable, me dit Cherche- à-Manger que je rencontrai le soir même de notre arrivée, c'est que Charelte vienne nous attaquer ici! Je consens à être fusillé comme un traître où un espion, par derrière, si le cas échéant nous ne prenons pas une éclatante revanche de notre éches de la Roullière !

Hélas! le souhait du capitaine Cherche-à-Manger ne de- vit être que trop tôt réalisé. Le lendemain, dans la soirée, une grande rumeur el une vive agitation, qui se manifestè- rent-dans notre camp, me firent soupçonner la présence de Charette daus les environs. Je ne me trompais pas, Nous apprimes bientôt d'une façon officielle que le général ven- déen, secondé par son Lerrible lieutenant Gouëlin, marchait sur notre camp, dont il n'était plus éloigné que d'une faible distance. : à

Nous passämes la nuit sous les armes : le lendemain, nous vimes apparaître l'ennemi.

Gomme celte fois nous étions non-seulement sur n0s gar- des, mais que nos. mesures élaient parfaitement prises, et notre canp admirablement fortifié, l'émotion que j'éprouvai n'approcha en rien de celle‘que’ m'avait causée la surprise de la Roullière, Il faisait un lemps magnilque lorsque nous apereûmes la première colonne vendéenne,

Quoique la marche de cette force imposante, elle se com posait d'environ 2,000-hommes, manquat de régularité. elle avançait cependant avec un lel calme et uue telle audace, que son aspect élail saisissant, 5

Peu après, nous nguàmes deux nouvelles colonnes qui se dirigeaient vers deux autres côtés opposés du camp. Un grand silence, interrompu seulement par les ordres que donvaient nos chefs, régnait dans nos rangs.

— Parbleu, me dit à voix basse Cherche-à-Mänger, près duquel, Selon mon habitude, j'avais élé me placer, les bri- gands débutent mal dans leur entreprise.

—" Pourquoi céla, capitaine? lui demandai-je sux le même 109.

— Parce que leur première division, qui me semble lp plus importante, de leur armée, manœuvre justement de fa çon à attaquer le camp du coté où il est le mieux défendir celle division va êlre écrasée en moins (le lemps qu'il ne m'en faut pour vous faire celte prédiction, Vous allez voir que cette fois ce sera drôle. Je ris d'avance,

Chorche-à-Manger, avec la grande habitude qu’il avait de Ja,guerre vendéenne, ne.s’étail pas {rompé.

La colonne qu'il me désignail comme se (ourvoyant d'une si déplarable façon. pour elle, arrivée à quaraute pas de nos retranchements et sans qu'un coup de.lusil eût él liré. (le part el d'autre, commença l'atlaque de natre.catup, nan seulement par L'endroit où il était le mieux. défendu, mais encore par le soul côté paut-être où il [üt out à fait inexpui guable, Cette imprudance lui coùla cher. :

A l'abri derrière nos retranchements, nous fimes pleuvoir sur elle une grêle de balles-qui porta, sinon la confusion, du moins le carnage dans #98 rang: £

Alors se passa une soëne que je n'oublierai jarnais |

Deux-porte-drapeaux vendéens, s'ayançant cales el sou- riants au milieu de la fusillade, vinrent avec une audace que je ne snis si je dois qualifier d'héroïque ou de, falle, planter leur élendard. sur nas retranchements, Gelle aclion équivalait à un suicide; cependant, la surprise. qu'elle eausa à nos hommes fut telle qu'à force de émérité elle mayqua de réussir.

Si Cherche-h-Manger n’eût arraché on:fusil. des: mains d'un soldat et tiré sur l'un des deux léméraires portésira- peaux, qui Lomba aussitôt raide mort, il.est probable que ce ualheureux se serait retiré sain el sauf, ainsi .que fit,son camarade.

Au moment où nous venions de nous emparer des dra-